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JULES VERNE

de point en point par le capitaine de l’Alert, et auquel Harry Markel aurait à se conformer. Il importait même, dans l’intérêt de ces malfaiteurs, qu’il ne subît aucune modification. À la seule condition que l’infortuné Paxton ne fut pas connu aux Antilles — ce qui était plus que probable — les projets d’Harry Markel avaient grande chance de réussir, et nul ne soupçonnerait l’Alert d’être tombé entre les mains des pirates de l’Halifax.

Quant à la traversée de l’Atlantique sur un bon navire, à cette époque de l’année où les alizés traversent la zone tropicale, il y avait lieu de croire qu’elle s’accomplirait dans les conditions les plus favorables.

En quittant les eaux anglaises, Harry Markel avait donné la route au sud-ouest au lieu du sud-est — ce qu’il aurait fait si ses passagers eussent disparu pendant la nuit précédente. L’Alert aurait cherché à gagner la mer des Indes, puis l’Océan Pacifique dans le plus court délai. Maintenant, il s’agissait de rallier les parages de l’Antilie, en coupant le Tropique du Cancer à peu près sur le quarantième méridien. Aussi le trois-mâts, tout dessus, jusqu’à ses cacatoès, ses flèches et ses voiles d’étais, cinglait-il, tribord amures, sous une brise fraîchissante, qui lui valait ses onze milles à l’heure.

Cela va sans dire, personne ne souffrait du mal de mer. Très soutenu par sa voilure qui l’appuyait sur bâbord, à la surface de cette houle longue et régulière, l’Alert roulait à peine et s’élançait d’une lame à l’autre avec tant de légèreté que le tangage y était presque insensible.

Toutefois, et quoi qu’il y en eut, dans l’après-midi, M. Patterson ne laissa pas de ressentir un certain malaise. D’ailleurs, grâce à la prudence de Mrs Patterson, et conformément à la fameuse formule Vergall, sa valise renfermait les divers ingrédients qui, à en croire les gens les mieux informés, permettent de combattre avec succès ledit mal de mer qu’il appelait savamment « pélagalgie ».

Et, en outre, pendant la dernière semaine passée à Antilian School, le prévoyant économe n’avait point négligé de recourir à des purgations variées et progressives, afin de se trouver dans les meilleures conditions sanitaires pour résister aux taquineries de Neptune. C’est, dit-on, une précaution préparatoire tout indiquée par l’expérience, et le futur passager de l’Alert l’avait scrupuleusement prise.

Ensuite — recommandation infiniment plus agréable, celle-ci — M. Horatio Patterson, avant de quitter Queenstown pour embarquer sur l’Alert, avait fait un excellent déjeuner en compagnie des jeunes boursiers, qui lui portèrent les toasts les plus rassurants.

Du reste, M. Patterson savait que l’endroit du bord où les secousses sont moins ressenties est le centre du navire. Le tangage et le roulis les rendent plus violentes, soit à l’avant, soit à l’arrière. Toutefois, au début, pendant les premières heures de navigation, il crut pouvoir demeurer sur la dunette. On le vit donc s’y promener de long en large, les jambes écartées, en vrai marin, de manière à mieux assurer son équilibre. Et même ce digne homme conseilla à ses compagnons de suivre son exemple. Mais, paraît-il, ceux-ci dédaignaient ces précautions, que n’exigeaient ni leur tempérament ni leur âge.

Ce jour-là, M. Horatio Patterson ne sembla pas prendre sa part du déjeuner avec autant d’appétit que la veille, bien que le maître coq eût fait convenablement les choses. Puis, au dessert, n’éprouvant pas le besoin de se promener, il s’assit sur un des bancs de la dunette, regardant Louis Clodion et ses camarades, qui allaient et venaient autour de lui. Après le dîner, auquel il ne toucha que du bout des lèvres, Wagah le reconduisit à sa cabine et Détendit dans son cadre, la tête un peu relevée, les yeux clos avant le sommeil.