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« Attention, vous autres ! »

On y prend à peine garde. « Pfft ! » Encore de la flamme, de la fumée ; pas autre chose. Cette fois, on rit franchement ; on met le nez sur l’arme. « Elle est chargée ! — Non ! — Oui ! » Vive discussion.

« Attention, vous autres ! » prévient l’ami. Mais sa voix se perd dans le brouhaha des commentaires et des plaisanteries échangées.

Néanmoins l’opération recommence.

« Pfft ! » fuse la poudre. « Ha-ha-ha-ha ! » se tordent les gens. « Pataratapoum ! » Détonation effroyable ; le fusil est projeté en avant ; en même temps, vendeur, ami, curieux, tous roulent pêle-mêle ; salade de jambes en l’air ; cris ; plaintes ; hurlements.

Tout en pouffant nous nous approchons. Calme subit ; l’un après l’autre tous se relèvent, se tâtent et partent de rire ; pas un blessé.

« Solide, le canon, fait M. Naimon. Dire qu’il n’a pas éclaté avec une pareille charge !… C’est bien tout ce que je voulais. Mohammed, tiens, voilà tes douros ; je prends le fusil. »

Michel Antar.

(La suite prochainement.)

DISPARUS
Par JACQUES LERMONT

VII (Suite.)
Barnabé et Cie.

Le vainqueur — la nourrice sèche — comme l’appelait le chef, prit les enfants par la main et les mena dans l’entrepont.

Il y avait là deux grandes cages, l’une réservée à la volaille, et l’autre où étaient entassés des moutons : la viande fraîche du navire.

« Voilà une cabane où il y avait une vache ; entre là dedans, dit le contrebandier, en poussant la petite assez rudement, et n’en bouge pas, et ne crie pas, ou bien, il y a croquemitaine. Tu l’as vu, n’est-ce pas ? Ton camarade t’apportera à manger. »

Il l’enferma.

« Quant à toi, garçon, continua-t-il, attrape un balai et nettoie le pont, il en a besoin. Voici du grain pour les poules, du foin pour les moutons et une barrique d’eau. C’est moi qui suis chargé de leur distribuer la provende, et je n’ai pas le temps. Tu leur donneras à manger et à boire trois fois par jour. Va. »

Yvon comprit. Il se mit à l’ouvrage sans hésiter.

Le vaisseau ne ressemblait guère, dans son aménagement, à ce que nous voyons maintenant à bord d’un navire de guerre, où tout est ciré, astiqué, bien en place, et entretenu par l’équipage avec un soin minutieux. Personne, sur ce bateau-là, ne songeait à frotter les cuivres pour les faire briller. Il n’y avait d’ailleurs point de cuivres. L’encombrement, du pont à la cale, le désordre, apparaissaient inextricables. Objets hétéroclites de toute sorte roulaient çà et là, repoussés en passant d’un coup de pied quand ils gênaient. La poussière, la farine, les grains, le sel, le riz, le tabac, tout cela mélangé à des détritus de poisson et à des os restés des repas, formait sur les planches une épaisseur de fumier. Les canons dans leurs embrasures (il y en avait six) étaient rouillés. La manœuvre était la seule chose qui fût exigée de l’équipage avec sévérité. Le chef permettait tout le reste. Et le reste, c’était d’abord l’eau-de-vie, le jeu de dés, donnant lieu à des disputes continuelles. Les provisions, en nombre considérable, et renouvelées sans cesse, étaient laissées à discrétion, c’est-à-dire à indiscrétion.