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ron six ans s’arrêta tout près d’Olaf, il lui sourit, et désignant le cahier de papier qu’elle examinait attentivement :

« Tu sais donc déjà lire ? demanda-t-il.

— Oui, même l’écriture ; regarde si je me trompe : « Lotta Lutzen, devoir de concours ».

Toute fière, la petite s’était rapprochée pour qu’il put lire en même temps qu’elle. Olaf n’en pouvait croire ses yeux. C’était pourtant exact, et la date, placée en dessous, prouvait que cela avait été écrit deux jours auparavant.

La composition de Lotta, à une pareille distance de la table où M. Duff corrigeait peut-être à cette heure celles de ses compagnes ! chose étrange et incompréhensible !… Soudain le visage d’Olaf devint pourpre : il craignait d’avoir deviné. La petite éclata de rire :

« Es-tu jaloux que je lise si bien ?

— Pas du tout. Dis-moi seulement qui t’a donné ce cahier.

— Personne, je l’ai ramassé hier soir, quand la demoiselle l’a jeté.

— Quelle demoiselle ?

— Celle qui est venue de la ville avec ton père et toi. »

Le jeune garçon réfléchit, puis montra un crayon de bois doré à la petite paysanne ravie :

« Veux-tu me donner ce papier en échange et me promettre de ne rien dire à personne ?

— Pas même à la demoiselle ?

— À personne, comprends-tu bien ? il faut promettre sérieusement. »

Aussitôt l’échange eut lieu et Olaf s’éloigna pour ne pas exciter davantage la curiosité de l’enfant. Qu’allait-il faire de ces feuillets ? il se le demandait. Sa nature délicate souffrait à la vue d’une mauvaise action ; de plus, il aimait beaucoup Marguerite et, loin de la condamner, la plaignait généreusement.

« Pauvre fille, pensait-il, ses succès l’ont gâtée, elle ne veut plus admettre qu’une autre puisse l’égaler en quoi que ce soit. Supprimer le devoir d’une concurrente ! c’est bien mal ! Mais hier elle avait l’air inquiet et malheureux… Oui… oui, elle se repent et cherche comment elle pourrait réparer sa faute. Je serais très content de lui être utile à quelque chose. »

Le cahier de Lotta, redevenu un mince rouleau, fit connaissance avec une nouvelle poche. On appelait Olaf pour le déjeuner : autour de la table, les convives de la veille se régalaient de laitage, de gruau, de langues de renne, ou bien d’excellent jambon d’ours. Au grand scandale du jeune garçon, Marguerite dévorait ces bonnes choses du meilleur appétit et fort gaiement. L’expérience n’avait pas encore appris au loyal enfant que beaucoup de gens, troublés par les reproches de leur conscience, s’efforcent tout d’abord de les étouffer en s’étourdissant.

M. Osburn avait annoncé qu’on repartirait pour la ville une heure plus tard, et cette heure fut employée aux mille choses que les amis ont toujours à se dire avant de se séparer.

Enfin, ils montèrent en voiture en même temps que les jeunes invités du gaard voisin qui retournaient par terre, en contournant le lac. Les chevaux entraînaient la file des charrettes, au joyeux drelin de leurs grelots. Celle de M. Osburn tourna bientôt vers les lacs ; les autres s’enfoncèrent sous bois, et longtemps encore on entendit les appels qui s’échangeaient en signe d’adieu…

À mesure qu’on se rapprochait de la ville, la gaieté de Marguerite s’éteignait : sa poche s’était allégée, mais son cœur était devenu bien lourd. Olaf l’observait du coin de l’œil ; il se frotta les mains :

« Voilà une charmante excursion, n’est-il pas vrai, Marguerite ?

— Tout à fait amusante, dit celle-ci, avec un grand soupir.

— Cela va nous donner du courage à l’étude. Ah ! je parle pour moi qui ne trouve pas de