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autrement, tire-toi seule d’affaire. D’ailleurs tu sais que je n’aime pas la fraude. »

Marguerite qui, jusqu’alors, avait évité de mentir, rougit et se mit à l’ouvrage. Au bout de deux heures, son devoir achevé et soigneusement relu formait un petit cahier relié par un fil de soie rouge. L’écolière, satisfaite, courut au jardin soigner ses plantes favorites ; elle avait retrouvé sa gaîté.


II


Le lendemain, Barbara, la jeune servante du professeur Duff, très avenante dans la guimpe de fine toile et la jupe aux vives couleurs des paysannes dalécarliennes, achevait de ranger la salle du cours quand Marguerite se présenta.

« Vous êtes en avance, mademoiselle Lodbrod, remarqua-t-elle ; les autres élèves ne viendront pas avant une demi-heure ; vous allez vous ennuyer.

— Sois tranquille, ma petite Barbara, il n’y a que les sots qui s’ennuient.

— Et vous n’êtes pas une sotte, mademoiselle, mon maître disait encore l’autre jour :

« — Mademoiselle Lodbrod me fera honneur ».

Sur ce compliment bien tourné, Barbara fit la révérence.

Demeurée seule, Marguerite s’installa à sa place, prépara son porte-plume, ses cahiers, donna un dernier coup d’œil au fameux devoir, et le porta, selon l’usage, sur la table de M. Duff. Des feuillets reliés par un fil d’argent s’y trouvaient déjà ; au beau milieu de la couverture rose, Lotta Lutzen avait tracé son nom d’une jolie écriture. Marguerite, très surprise, fit une rapide inspection de la salle : Lotta n’était dans aucun coin, ni derrière le fauteuil vide du maître, ni cachée sous les rideaux, ni blottie près du poêle ; malgré les souffrances que lui causait son pied endolori, la courageuse fillette avait voulu concourir et envoyer son devoir. Après un peu d’hésitation, Marguerite le parcourut.

« Cette petite s’en tire fort bien, dit-elle, M. Lutzen sera revenu à temps de son voyage pour tirer sa fille d’embarras, on le voit : mais tante Gerda est dans le vrai quand elle traite cela de tromperie… »

Très agitée, l’écolière fit le tour de la salle. Laisserait-elle prendre aussi injustement sa place ? Elle avait soin d’appuyer sur « injustement » afin de se donner à ses propres yeux le droit de se défendre. Il n’y avait qu’un moyen… un seul… En pensant, le cœur de Marguerite battit bien fort. Elle s’était rapprochée de la table et demeurait perplexe quand la grosse horloge sonna. Encore deux minutes, elle ne serait plus libre d’agir : au dehors résonnaient les voix des arrivantes, et les pas de M. Duff s’entendaient à l’étage supérieur. D’un bond Marguerite fut à sa place… mais un seul cahier demeurait sur la table : ce n’était pas celui de Lotta !

Les élèves déposèrent leurs compositions ; quand elles furent à leurs places, le professeur commença son cours. Sa parole facile, pleine d’intérêt, captivait toujours le jeune auditoire. Les frais visages des fillettes, tournés vers lui, exprimaient un sérieux intérêt : Marguerite, les veux obstinément fixés sur son papier, prenait des notes, sans relever la tête. Son esprit si vif était au calme plat lorsqu’elle quitta la salle avec les autres : pas une plaisanterie ni un de ces mots piquants qu’elle lançait toujours à propos.

« Au revoir, cria-t-elle à ses compagnes devant la maison bleu ciel ; et, la main plongée dans sa poche, elle s’élança vers la cuisine. Le cahier de Lotta, serré en mince rouleau, était condamné au feu. Mlle Rosenvik barra le chemin à sa nièce.

« Où vas-tu ? Déranger Britte dans les apprêts du repas ! elle n’aime pas cela, tu le sais ; d’ailleurs, j’ai besoin de toi tout de suite. Le père d’Olaf Osburn est venu proposer de t’emmener à la campagne chez son frère Christian ; puisque tu as deux jours de congé,