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BOURSES DE VOYAGE

cité plaisante ou la plaisanterie féroce, comme on voudra.

« Bien, fit Magnus Anders, nous nous mettrons à table, quand le dîner sera prêt…

— Et, insista Tony Renault, si vous appareillez avant qu’il soit fini, ne craignez pas de nous déranger !… Nous voulons être tous à notre poste pour l’appareillage. »

Cela convenu, les deux jeunes garçons regagnèrent la dunette. Là ils continuèrent de causer en examinant l’état du ciel jusqu’au moment où un des matelots nommé Wagah vint les prévenir que le dîner les attendait.

Ce Wagah avait été affecté au service de la dunette. À lui revenait tout ce qui concernait le carré et les cabines, comme s’il eût été le steward du bord.

C’était un homme de trente-cinq ans, et la nature avait fait erreur en lui donnant une physionomie franche, une figure sympathique : il ne valait pas mieux que ses compagnons. Son obséquiosité n’eût peut-être point paru exempte de fourberie, et il n’avait pas l’habitude de regarder les gens bien en face. Ces détails devaient échapper aux passagers trop jeunes encore, trop inexpérimentés pour découvrir ces indices de la perversité humaine.

Il va sans dire que Wagah avait particulièrement séduit M. Horatio Patterson, sinon moins jeune, mais aussi inexpérimenté que Louis Clodion et ses camarades.

En effet, par sa minutie dans le service, par le zèle qu’il affectait, Wagah devait plaire à un homme, on peut le dire, aussi naïf que l’économe d’Antilian School. Harry Markel avait eu la main heureuse en le choisissant pour ces fonctions de steward. Personne n’avait mieux joué son rôle. Eût-il eu à le continuer pendant toute la traversée que M. Horatio Patterson n’aurait jamais soupçonné ce misérable. Or, on ne le sait que trop, ce rôle allait prendre fin dans quelques heures.

Donc, le Mentor était enchanté de son steward. Il lui avait déjà indiqué la place de ses divers ustensiles de toilette et de ses habits dans la cabine. Il se disait que, s’il était éprouvé par le mal de mer, — éventualité peu probable puisqu’il avait fait ses preuves pendant la traversée de Bristol à Queenstown, — Wagah lui rendrait les meilleurs services. Aussi parlait-il déjà de la bonne gratification qu’il comptait prélever sur la caisse du voyage pour reconnaître tant d’empressement à lui être agréable et à prévenir ses moindres désirs en toutes choses.

Le jour même, causant avec lui, s’inquiétant de tout ce qui concernait l’Alert et son personnel, M. Patterson avait été amené à parler d’Harry Markel. Peut-être trouvait-il « le commandant » — c’est ainsi qu’il le désignait, — un peu froid, un peu réservé, et d’un caractère peu communicatif, en somme.

« C’est justement observé, monsieur Patterson, lui avait répondu Wagah. Il est vrai, ce sont là des qualités sérieuses pour un marin… Le capitaine Paxton est tout à son affaire… Il sait quelle est sa responsabilité, et ne pense qu’à bien remplir ses fonctions… Vous le verrez à l’œuvre, si l’Alert est aux prises avec le mauvais temps !… C’est un des meilleurs manœuvriers de notre flotte marchande, et il serait capable de commander un bâtiment de guerre tout autant que Sa Seigneurie le premier lord de l’Amirauté…

— Juste réputation dont il jouit à bon droit, Wagah, avait répondu M. Horatio Patterson, et c’est en ces termes élogieux qu’on nous l’a dépeint. Lorsque l’Alert a été mis à notre disposition par la généreuse Mrs Kethlen Seymour, nous avons appris ce que valait le capitaine Paxton, ce Deus, je ne dirai pas ex-machina, mais ce Deus machinæ, le Dieu de cette merveilleuse machine qu’est le navire capable de résister à toutes les fureurs de la mer ! »

Ce qu’il y eut de particulier, et ce qui causa un sensible plaisir à M. Horatio Patterson, c’est que le steward avait l’air de le comprendre