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naissance tend à disparaître des mœurs.

Nous y avons gagné des unités de valeur, qui, jadis, n’eussent point osé céder à l’attrait des voies nouvelles.

Mais Hervé n’avait aucunement bénéficié de cette évolution heureuse.

Sa mère, une de Liernay-Sauvetal, obstinément attachée aux vieux préjugés de caste, ne cessa de lutter contre ce qu’elle qualifiait « l’infiltration d’un poison mortel à la noblesse ».

Elle ne s’était jamais pardonné à elle-même la quasi mésalliance qui avait fait d’elle, Marie-Josèphe, comtesse de Liernay-Sauvetal, une baronne de Kosen — baronnie de l’empire jetée sur les épaules d’un soldat de fortune, à peine noble de naissance, point titré ! — Elle avait souffert toute sa vie de sa lâcheté en face de la pauvreté entrevue, lâcheté qui avait entraîné son consentement à ce mariage.

Et encore, bien qu’elle rendît pleine justice aux grandes qualités de son mari, et fût d’une irréprochable loyauté — elle en donna la preuve — elle n’avait pas su lui cacher toujours cette sourde rancœur.

S’il ne fût mort jeune, nul doute que, dans la suite, le ménage n’eût été malheureux. Déjà, pour l’éducation de leurs trois enfants, M. et Mme de Kosen étaient en complet désaccord.

D’autres questions, d’une égale importance, les divisaient aussi.

Ce fut durant un séjour en Bretagne que mourut Philippe de Kosen, le père d’Hervé.

La baronne ne ramena point la dépouille de son mari en Velay, sa terre natale, et ne revint à son château de Vielprat qu’une fois.

Elle haïssait ce pays : pour quelle raison ? ses enfants ne le surent point. Elle ne leur parlait jamais d’Arlempdes, où tous les trois étaient nés pourtant !

Bien mieux, elle mit la terre de Vielprat en vente, à un prix dérisoire, afin de s’en débarrasser plus sûrement.

Mais Arlempdes était alors un coin si inconnu que les gens en quête de propriétés refusaient d’y aller voir, quand le notaire du Puy, chargé des affaires de la famille de Kosen, proposait le petit castel à l’un de ses clients.

La baronne n’eut pas non plus la satisfaction de réussir pleinement dans l’éducation de son fils. L’intelligence du jeune homme se refusait à l’ingestion des préjugés surannés dont on prétendait la nourrir.

En dépit du respect et de la crainte que lui inspirait sa mère, Hervé lui opposait parfois des arguments d’une logique serrée qui la désarçonnaient… pas pour longtemps, il est vrai.

De cet enseignement d’un autre âge, il ne retint guère qu’un vernis de bonne compagnie, lequel au reste, allié à son caractère droit, à son abord simple, à ses goûts campagnards, lui allait le mieux du monde, lui donnait grand air et vraiment le complétait.

Dès que son fils eut vingt ans, se sachant gravement atteinte, la baronne de Kosen se choisit une bru à son gré, une petite-cousine aussi altière et jalouse de son nom qu’elle-même, pauvre, aussi, et qui, malgré cela, ne se fût point décidée, si le charme d’Hervé n’eût fait contrepoids aux quartiers de noblesse qui manquaient à sa baronnie.

Devenue Mme de Kosen, Gisèle fut la parfaite copie de sa belle-mère. Entre les deux femmes, Hervé n’eut pas la possibilité de se choisir une carrière. À peine lui fut-il permis de se livrer à son goût très vif pour la peinture, en amateur, cela va de soi.

Pour la terre de Vielprat, il se passa cette chose extraordinaire. Sans la connaître, Gisèle se mit subitement à l’abhorrer.

Et cela, juste au lendemain du jour où, sur la foi de quelques amis qui revenaient de parcourir le Velay et les Cévennes, et s’en montraient enthousiasmés, elle avait exprimé le désir d’y faire un séjour.