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la tête, on pourra pas s’amuser avec lui.

— Non, mais Mme Murcy amène aussi René, son jeune frère ; vous vous souvenez de lui ?

— Oh ! oui, papa ! » répondirent-ils tous les deux ensemble.

Pompon ajouta comme preuve de sa mémoire :

« Il nous faisait zouer au soldat, quand on allait cez eux, à Paris.

— C’est lui qui a retardé le voyage. Il a été très malade. On a dû attendre sa guérison pour se mettre en route ; sans cela, mes pauvres bonshommes, vous ne seriez pas restés abandonnés tout ce long mois !

— Tante Brizitte aurait dû viendre…

— Tante Brigitte avait du monde ; elle n’a pu s’absenter. Enfin me revoilà ; vous êtes bien portants ; ne pensons plus qu’aux bons amis qui nous arrivent. »

Hervé se leva sur ces mots et se dirigea, avec ses bébés, vers le château. Tout en marchant, il examinait les deux petites frimousses, où le cacao avait laissé des traces aux coins des lèvres.

C’était l’heure des interrogations… Avait-on été sages ?… Ah ! je crois bien ! sages tout le temps ! sans un caprice !

Et c’est qu’ils étaient de bonne foi, en l’affirmant ! Avait-on joué sans se battre ?

« Oui, oui… » répondirent les petits.

Pressés de parler de leurs nouvelles connaissances, ils causaient tous les deux à la fois.

Pour éviter l’explosion de l’habituel conflit et l’échange de gifles qui s’ensuivait, le papa se plaça entre ses deux enfants et leur prit une main à chacun.

Puis il continua, après avoir un peu hésité, par crainte de provoquer des rapports qui leur eussent appris la délation, désireux de s’éclairer, pourtant :

« Et vos bonnes, vous entendez-vous bien avec elles ? »

Ils se regardèrent. Ce fut Lilou qui répondit :

« Tout le temps elles mangent. Alors, nous…

— Personne nous « soigne », pleurnicha Pompon ; rien que Claire.

— Et elle nous a prêté sa mère-vieux, ce matin. Et on nous a donné du bon chocolat, des petites tartes, et encore des tartines de beurre. Et la grosse tarte, nous la mangerons à goûter. La mère-vieux de Claire l’a dit, poursuivit Lilou.

— Alors, mes petits, vous avez voisiné ? Qui vous a conduits chez ces personnes ?

— Nous tout seuls qui y sont z’allés. Nous a passé par-dessus des gros rochers. Claire avait z’apporté une échelle pour pas que nous tombons. Tu veux viendre avec nous, dis, papa, manger de la tarte ?

— Je vous accompagnerai tout au moins jusqu’à la limite, et je vous regarderai la franchir. Je tiens à m’assurer que vous ne courez aucun risque.

— Claire nous aide ; on peut pas tomber. »

Voilà comment il se fit que Clairette, venue vers deux heures attendre Lilou et Pompon, se vit en présence d’Hervé, tenant ses bébés par la main.

Ils échangèrent un salut silencieux, un peu gêné de la part de la jeune fille, distrait et indifférent de la part de de Kosen.

Ce dernier prononça :

« Mademoiselle, mes fils se prétendent vos invités. Ils l’étaient déjà ce matin ; je crains que leur indiscrétion ne dépasse les bornes.

— Vous pouvez les laisser venir sans scrupules, monsieur, aussi souvent qu’ils le voudront. Ils m’amusent, ils sont si drôles ! Et grand’mère, qui est fort âgée et ne sort plus, a du plaisir à les voir. Voulez-vous me les tendre ? »

Hervé grimpa sur le banc, et donna Lilou, puis Pompon, à la jeune fille.

Tout en procédant à cette opération, ils