Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sait guère attendre. Tandis qu’à présent, bien que je fusse exténuée, mon cerveau enfiévré faisait défiler dans mon esprit mille scènes embrouillées. Pourtant tout s’effaça ; je ne vis plus au loin qu’une immense cascade qui m’attirait, et semblait merveilleuse. Arrivée au pied, un bruit assourdissant, une chute d’eau écrasante, me terrifièrent. J’avais une soif ardente, mais impossible d’approcher de cette masse liquide. J’aperçus alors un tout petit ruisseau que je n’avais pas remarqué dans ma hâte d’admirer l’incomparable cataracte. Qu’elle était pure et délicieuse, cette eau ! Juste à ce moment, la voix de mon père me fit bondir :

« Eh ! bien, Huguette, te crois-tu donc encore au bal ? »

Non, certes, je n’y étais plus ; je pense même que je venais de prendre un léger acompte sur la nuit. En tout cas, ma prodigieuse cascade me rappelait beaucoup le monde, très attirant de loin ; quant au ruisselet méconnu, cela pourrait bien être la vie intime que l’on retrouve avec une joie reconnaissante.

Après tout, venais-je simplement de rêver ? c’est bien possible. Voilà, chères lectrices, le songe plein de réalité que m’a inspiré mon premier bal ! mon « entrée dans le monde » !

J. Daigret.

FILLE UNIQUE

CHAPITRE V (Suite).

Elle ouvrit alors les bras aux deux bambins, elle les serra contre elle avec une tendresse éperdue, appuyant alternativement ses lèvres, en de longs baisers, sur les deux petits fronts.

— Tu me z’aimes, toi, mère-vieux de Claire ? demanda Lilou.

— Oui, mon trésor, je t’aime. Dis-moi ton nom.

— Lilou.

— Ce n’est pas un nom, cela, tu en as un autre. »

L’enfant se tut.

« Allons, dis, mon amour.

— Claire veut pas… »

Grand’mère eut un vif mouvement de surprise. À quel mobile avait obéi sa petite-fille en leur interdisant de se nommer ! À quel sentiment aussi en les lui amenant ?…

Elle se taisait, cherchant à démêler l’intention qui avait fait agir Clairette, lorsque Pompon déclara, n’y entendant pas malice, persuadé de ne point enfreindre les ordres de la jeune fille :

« Mon papa, c’est Hervé ; tante Brigitte dit comme ça.

— Tu ne m’apprends rien, va, murmura grand’mère, tout de suite j’ai reconnu tes cheveux frisés et les yeux de Lilou. »

Puis, en elle-même :

« Oh ! mon pauvre vieux cœur ! ne va pas te rompre… Quelle joie ! Mon Dieu ! quelle joie !… »

Mais des pas se faisaient entendre. Mme  Andelot déposa à terre les deux enfants, et, se levant, les assit elle-même devant la table.

« As-tu pensé aux serviettes, ma mignonne ? demanda-t-elle à sa petite-fille, qui entrait chargée d’un plateau.

— La cousine les apporte. »

Claire se plaça entre ses deux invités, un peu pour les servir, beaucoup pour les empêcher de se battre, puisque les gifles échangées semblaient être leur habituelle façon de s’expliquer.