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rassurait un peu ; le danger n’était donc pas si grand, puisque, elle, pour qui mes moindres peines étaient un souci, paraissait ne redouter pour moi aucun accident. Il fallut se décider ; très émue, un peu pâle même, je la fis enfin cette « entrée dans le monde ». À peine eus-je franchi le seuil du salon que je ressentis un soulagement, accompagné de beaucoup d’étonnement ; nulle attention gênante n’accueillit notre arrivée. Qui donc s’inquiétait si mademoiselle Huguette se montrait pour la première fois dans le monde ? Se pouvait-il que ce fut si simple ?

Notre hôtesse, avec un mot aimable et le plus gracieux accueil, me recommanda à sa fille ; et me voici partie en compagnie de Sonia, charmante dans sa robe rose pâle qui allait à merveille à son teint nacré et à ses cheveux dorés. Ce qui captivait en elle, plus encore que sa réelle beauté, c’était la douceur infinie de ses yeux, et sa simplicité qui, tout de suite, donnait confiance. J’en avais, pour l’instant, bien besoin ; songez à ce que je devenais, loin de mes parents, dans ce tourbillon vivant où nul visage connu ne venait rassurer mon trouble ! Nous rejoignons enfin un groupe nombreux de jeunes filles, mais, je dois le dire, je ne constatai pas chez toutes la même aménité que j’avais remarquée sur les traits de ma gracieuse compagne. L’orchestre attaquant une polka, je pris le bras d’un jeune homme que Sonia venait de me présenter. Cette fois, le voilà bien, mon baptême mondain ! En ce moment, j’étais absolument malheureuse, tant je craignais de me montrer gauche, de commettre quelque sottise aussi, comme cela ne manque jamais quand on cesse d’être naturelle ; l’excès de mon attention me fit faire maladresse sur maladresse. Assez bonne danseuse pourtant, je m’embrouillai si bien qu’il fallut, pour l’instant, renoncer à suivre une mesure avec laquelle je ne pouvais me mettre d’accord. Mon danseur, un tout jeune homme, et aussi embarrassé que moi, je pense, me fit de si drôles de condoléances, qu’un éclat de rire, sans aucune prétention, celui-là, vint terminer notre mutuel embarras. Tout alla mieux dès lors.

Cependant, je crois bien qu’au fond de mon cœur je regrettais nos simples réunions ; là, chacun se connaît, ce qui permet de bavarder et de s’amuser sans souci, sur de l’indulgence ; ici, au contraire, j’étais inquiète et troublée. C’est très difficile de causer ainsi avec des inconnus ! Ne peut-on, sans le savoir, froisser, peiner même quelqu’un ; ou bien un mot ne peut-il nous faire juger défavorablement ? Je m’aperçus d’ailleurs que s’il est prudent de ne pas causer trop de soi, mieux vaut aussi ne pas communiquer trop facilement ses impressions personnelles.

J’étais, en ce moment, près d’une jeune fille que j’avais remarquée pour la façon irréprochable dont elle dansait cette jolie valse à trois temps que j’avais tant de mal à mener à bien. Ne sachant, au juste, quoi lui dire, je pensai lui faire partager mon admiration pour cette fête, et ma gratitude pour ceux qui nous y avaient conviées.

« Oh ! oui, certainement », me répondit-elle.

Mais cette courte phrase fut dite avec un ton si sec, que je vis bien tout de suite qu’elle ne se trouvait pas de mon avis ; et, comme désireuse d’effacer mon enthousiasme et la reconnaissance que j’éprouvais pour nos aimables hôtes, elle se mit à me débiter mille médisances mesquines, qui, naturellement, ne faisaient aucun tort à la famille qui nous recevait.

Qu’importait que Sonia eût une jupe trop longue, que le cotillon eût duré trop longtemps ? En revanche, ainsi qu’il arrive toujours en pareil cas, c’était sur la peu indulgente jeune fille que retombaient ces petites méchancetés ; car il ne fallait pas être bien clairvoyante pour juger qu’elles lui étaient dictées par l’envie. Je regardais mon interlo-