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JULES VERNE

— Soyez tranquille, monsieur Patterson, nous ne vous ferons pas sombrer sous voiles ! » déclara Tony Renault.

Harry Markel s’était borné à faire un geste affirmatif.

À quoi pensait-il, cet homme ?… Quelque pitié s’était-elle glissée dans son âme, en voyant ces jeunes garçons si heureux, si joyeux d’être embarqués à bord de l’Alert ?… Non ! et, la nuit prochaine, aucun d’eux ne trouverait grâce devant lui.

En ce moment, la cloche retentit à l’avant du navire. Un des matelots venait de piquer les quatre coups de onze heures.

« C’est le déjeuner, dit Louis Clodion.

— Eh bien, nous y ferons honneur !… répondit M. Horatio Patterson. J’ai une faim de loup…

— De loup de mer… ajouta Tony Renault.

Lupus maritimus », traduisit M. Patterson.

C’était, en effet, l’heure du déjeuner, que Harry Markel s’excusa de ne point présider, ayant l’habitude, déclara-t-il, de prendre ses repas dans sa cabine.

Ce déjeuner était servi dans le carré, et chacun trouva place autour de la table. Des œufs, de la viande froide, du poisson tout frais péché, du biscuit, du thé, tout cela fut reconnu excellent. D’ailleurs, ces jeunes estomacs, affamés par leur promenade matinale, ne se seraient pas montrés difficiles, et il faut convenir que M. Patterson mangea deux fois plus qu’il n’eût fait au réfectoire d’Antilian School.

Après le déjeuner, tous rejoignirent sur la dunette Harry Markel.

Et d’abord, d’après ce qui venait d’être convenu entre eux, Louis Clodion s’adressant à lui :

« Capitaine, demanda-t-il, pensez-vous pouvoir bientôt mettre à la voile ?…

— Dès que le vent sera levé, répondit Harry Markel, qui prévit le but de cette question, et cela peut se produire d’un instant à l’autre.

— Et… s’il est contraire ?… fit observer M. Horatio Patterson.

— Cela n’empêcherait pas d’appareiller et de faire route. Ce qu’il nous faut, c’est la brise, d’où qu’elle souffle…

— Oui… s’écria Tony Renault, en courant des bordées.

— Au plus près… ajouta Magnus Anders.

— Comme vous dites, messieurs », répliqua Harry Markel.

Et, en réalité, est-il une plus jolie allure que celle d’un bâtiment qui serre le vent, tribord ou bâbord amure, lorsque toutes ses voiles portent ?…

« Enfin, capitaine, demanda Niels Harboe, y a-t-il lieu de croire que la brise va reprendre…

— Dans l’après-midi ?… ajouta John Howard.

— Je l’espère, répondit Harry Markel. Voici près de soixante heures que durent ces calmes, et, assurément, ils vont cesser.

— Capitaine, interrogea Roger Hinsdale, nous désirerions savoir s’il y a quelque chance pour que l’Alert parte aujourd’hui ?…

— Je vous répète, messieurs, que je n’en serais, nullement étonné, car le baromètre baisse un peu… toutefois, je ne saurais l’affirmer…

— Dans ce cas, dit Louis Clodion, nous pourrions peut-être aller à terre passer l’après-midi ?

— Oui… oui !… » répétèrent ensemble tous ses camarades.

Or c’était précisément cette proposition à laquelle Harry Markel ne voulait point acquiescer. Jamais il n’enverrait personne à terre, ni des passagers ni de l’équipage. C’eût été compromettre une situation déjà si dangereuse.

Et alors, M. Horatio Patterson d’appuyer la demande avec quelques citations très opportunes. Ses jeunes compagnons et lui ne connaissaient ni Cork… ni Queenstown… Ils n’avaient pu la veille visiter ces deux villes…