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soit tournée vers l’observateur, tandis que le houblon et le chèvrefeuille montent de droite à gauche, dans les mêmes conditions de situations respectives. Voilà qui est entendu, arrêté, inéluctable, et je vous défie bien de les amener, soit par surprise, soit par contrainte, à modifier leur direction initiale.

Croyez que j’ai les meilleures raisons du monde pour formuler cette affirmation en termes aussi catégoriques, vu que cela me rappelle une certaine aventure où je n’ai nullement joué le beau rôle, ayant été vaincu, comme on ne peut l’être davantage, dans ma lutte contre un adversaire… Autant vous dire tout de suite quel a été ce personnage victorieux — c’était un haricot.

Eh, mon Dieu, oui, un haricot rouge ou haricot d’Espagne. Il poussait dans une caisse placée sur le petit balcon d’une fenêtre. Il était robuste, vivace et s’élançait résolument à l’escalade d’une longue baguette plantée verticalement auprès de lui. Naturellement, c’était de gauche à droite qu’il effectuait son ascension. Il paraissait si sûr de son fait, si convaincu qu’aucun obstacle ne saurait entraver son essor, qu’une idée me vint, fort malicieuse à la vérité. Je résolus de le faire changer de direction. Pour cela, je déroulai délicatement les quatre spires supérieures de la tige que je fixai à la baguette, au moyen d’un léger fil élastique et les enroulai en sens inverse, en les attachant plus haut par un autre fil.

Le pauvre haricot me laissa faire, ne pouvant opposer à mon déloyal procédé qu’une protestation muette, puis demeura ainsi, jusqu’au surlendemain, immobile, indigné sans doute, et comme plongé dans la stupeur de sa défaite… défaite ? C’est moi qui qualifiais ainsi sa stupeur apparente. Profonde erreur ! Il se recueillait et prenait son parti. Ne pouvant défaire ma vilaine besogne, il laissa les quatre spires telles que je les avais retournées ; mais, crispant une de ses feuilles autour de la baguette, il s’en fit un point d’appui et, se tordant sur lui-même… reprit son procédé habituel d’enroulement, avec le juste orgueil d’un haricot qui a résisté à l’arbitraire, sans faiblesse, ni capitulation.

Eh bien ! cette noble conduite me fit réfléchir, et m’eut inspiré quelques remords vis-à-vis du pauvre haricot violenté, si elle ne m’avait fourni l’occasion d’admirer son énergie et son héroïque obstination. Cette légumineuse a raison, me dis-je ; quand on suit une voie avec la conviction que celle-là est la bonne, il n’est ni influences, ni surprises, ni procédés injustes ou violents qui doivent nous en détourner.

Belle leçon que donne ce haricot intègre, et combien j’appréciai le rôle de cette feuille crispée pour les besoins de la cause, cette alerte et spirituelle improvisation d’un point d’appui supplémentaire pour, de là, s’élancer à l’escalade, reprendre son procédé normal de progression, affirmer ses droits imprescriptibles… et résister à la tyrannie !

Ed. Grimard.

(La suite prochainement.)

FILLE UNIQUE

CHAPITRE IV (Suite).

Pompon et Lilou lui étaient une sorte de représentation théâtrale : deux petits clowns, deux jouets.

Et le désir lui revint, plus vif, de les amener à grand’mère. Tout le monde s’amuserait, et Mme  Andelot plus que les autres, à les écouter babiller dans ce langage pittoresque où les verbes en voyaient de si dures !

Mais l’escalier aérien écarté comme moyen de communication, par où les faire entrer ?…