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JULES VERNE

— Ce doit être le canot qui nous amène les passagers ! » s’écria le maître d’équipage.

Harry Markel et lui rentrèrent aussitôt dans le carré et braquèrent leurs longues-vues sur l’embarcation signalée par Corty.

Bientôt il ne fut plus douteux qu’elle se dirigeât vers l’Alert, aidée par le courant de la marée descendante. Elle était menée par deux matelots et un troisième tenait la barre. Au milieu et à l’arrière étaient assises une dizaine de personnes, entre lesquelles on distinguait un certain nombre de colis et de valises.

Il y avait tout lieu de croire que c’étaient les passagers de l’Alert qui se rendaient à bord.

Moment décisif s’il en fut et qui allait peut-être voir s’écrouler cet échafaudage élevé par Harry Markel !

Tout, d’ailleurs, reposait sur cette seule éventualité que M. Patterson ou que l’un des jeunes garçons connussent le capitaine Paxton. Cela semblait au moins fort improbable, et c’était sur cette improbabilité qu’avait tablé Harry Markel pour l’exécution de son projet. Mais ne pouvait-il se faire que le capitaine de l’Alert fut connu des marins du port qui conduisaient l’embarcation, et que diraient-ils lorsque lui, Harry Markel, se présenterait aux lieu et place dudit Paxton ?…

Ce qu’il fallait cependant observer, c’est que, pour la première fois, l’Alert venait de relâcher dans le port de Queenstown, ou plutôt dans la baie de Cork. Assurément, son capitaine avait du se rendre à terre, et remplir les formalités imposées à tout navire, à l’arrivée comme au départ… Mais on pouvait admettre, sans trop se hasarder, que les marins du canot ne l’eussent point rencontré à Queenstown.

« Dans tous les cas, dit John Carpenter, en terminant la conversation qu’il venait d’avoir à ce sujet avec ses compagnons, ne laissons pas ces hommes monter à bord…

— C’est plus prudent, déclara Corty, et nous donnerons la main pour embarquer les bagages…

— Chacun à son poste », commanda Harry Markel.

Et, tout d’abord, il prit la précaution de faire disparaître le canot dont ils s’étaient emparés la veille et qui les avait amenés à l’anse Farmar. Les embarcations de l’Alert leur suffiraient, s’ils voulaient s’enfuir. Quelques coups de hache défoncèrent ce canot, qui coula par le fond.

Aussitôt Corty se rendit à l’avant, prêt à jeter une amarre, dès que le canot accosterait.

« Allons, dit John Carpenter à Harry Markel, il y a là un danger à courir…

— Nous en avons couru et nous en courrons bien d’autres, John !

— Et nous nous en sommes toujours tirés, Harry !… Après tout, on n’est pas pendu deux fois… Il est vrai, c’est déjà trop d’une ! »

Cependant l’embarcation approchait, en se tenant à petite distance du littoral, de manière à donner en dedans de la pointe qui couvre l’anse Farmar. Elle n’était plus qu’à une centaine de toises. On apercevait distinctement ses passagers.

La question serait donc décidée dans quelques instants. Si les choses marchaient comme le désirait, comme l’espérait Harry MarkeJ, si la disparition du capitaine Paxton n’était point constatée, il agirait d’après les circonstances. Après avoir accueilli les boursiers de Mrs Kethlen Seymour comme ils devaient l’être, comme l’eut fait le capitaine Paxton, il procéderait à leur installation, et cela, sans doute, les occuperait toute la journée, sans qu’ils eussent la pensée de quitter le bord.

En effet, voyant que, faute de vent, l’Alert ne pourrait lever l’ancre, peut-être M. Patterson et les jeunes garçons demanderaient-ils à être reconduits à Queenstown. Ils n’avaient certai-