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— Où que tu alles ?

— Chez moi.

— Où c’est, chez toi ? s’informa Lilou.

— Là-haut… loin… loin…très haut ! fit Claire.

— Ze veux viendre cez toi.

— Tu ne peux pas.

— T’es une fée, demanda Lilou, reculant jusqu’à l’extrémité du banc, l’air en peine.

— Justement ! répondit Claire, qui entrevit le moyen de s’éloigner, ce dont elle avait grande hâte.

— Gretchen dit qu’elles demeurent dans la forêt, les fées.

— T’es méçante ?

— Très méchante quand on me désobéit.

— Ah !… »

Pompon mit un doigt dans sa bouche et la regarda en dessous, un peu perplexe.

« Allons, prononça résolument la jeune fille, cette fois, laissez-moi « m’envoler ». Vous allez fermer les yeux.

— À cause ?

— Parce que les fées n’aiment pas qu’on les regarde quand elles s’en retournent chez elles.

— Ze t’aime bien, quand même t’es une fée, s’écria soudain Pompon. Faut pas nous laisser, dis ? (il pleurnicha sur ce mot). Faut nous « soigner ». Personne nous soigne depuis que nounou s’a cassé la zambe. »

Et, se fourrant les poings dans les yeux, il se remit à gémir par petits hoquets désolés.

« Si vous voulez être sages et ne point parler de notre rencontre, nous nous reverrons, promit Claire, émue de ces supplications.

— Demain ?

— Peut-être…

— Faut nous aimer, commanda Lilou, sévère. C’est vilain de dire qu’on déteste les enfants.

— Je déteste les enfants qui crient à tout propos, et qui se battent, comme vous le faites.

— Pourquoi que Pompon commence ?

— Moi ! ze commence pas ; c’est toi.

— Menteur ! »

Ping ! pan ! les gifles de pleuvoir, sitôt rendues que reçues, et les hurlements de suivre des deux parts !

Cette fois, Claire s’enfuit, les laissant aux prises.

L’allée tournait. Elle eut vite disparu. Se glissant derrière le massif, elle regagna son escalier.

Mais, comme elle atteignait aux dernières marches, des cris retentirent en bas, dans le lointain.

« Ze la vois ! ze la vois ! Elle s’a envolée dans les arbres », annonça Pompon.

Claire comprit que sa robe, d’un rose pâle, s’apercevait dans l’intervalle des sapins ; vivement, elle s’accroupit.

« Ze la vois plus… » fit-il d’un ton désappointé.

La jeune fille attendit un instant ; puis, avec mille précautions, se courbant, s’abritant derrière les branches et le rocher, elle regagna la maison, entra dans sa chambre et s’y assit, songeuse, amusée et mécontente tout à la fois de sa rencontre.

Pauvres petits barons de Kosen ! — car c’étaient les fils du maître de Vielprat, elle n’en doutait plus — ils étaient bien abandonnés !

L’orgueil de caste ! ils n’y songeaient point encore… Ils mendiaient une maman et un peu d’amour, comme les miséreux demandent du pain !…

Bah ! ils étaient insupportables, aussi ! Toujours à se battre, à crier : des enfants, enfin ! des tyrans !

Les revoir… elle le leur avait promis ! Quelle sottise ! Ce ne serait pas dans le parc, en tout cas : elle n’y remettrait plus les pieds. Le père de ces bonshommes n’aurait qu’à revenir !…

« Ai-je assez perdu mon temps à déblayer ce maudit escalier ! » murmura-t-elle, dépitée…