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BOURSES DE VOYAGE

qu’elles ne devaient s’adresser qu’à des malfaiteurs, tels ceux de la bande Markel. Parfois Harry s’imaginait entendre et reconnaître les voix de John Carpenter et de Ranyah Cogh. Est-ce qu’ils étaient ramenés vers l’appontement ? … Est-ce que les constables savaient que leurs complices étaient là cachés au fond d’une embarcation ?… Est-ce que tous allaient être capturés et conduits à la prison, d’où ils ne s’échapperaient pas une seconde fois ?…

Enfin les clameurs s’apaisèrent. L’escouade s’éloignait avec les individus pris dans la rue du Blue-Fox et elle remontait la partie opposée du quai.

Harry Markel et les sept autres n’étaient plus menacés pour l’instant.

Mais, à présent, que faire ?… Le maître d’équipage et le cuisinier, arrêtés ou non, n’étaient pas là. Avec deux de moins, dans ces conditions d’infériorité, Harry Markel pouvait-il donner suite à son projet, se porter vers l’Alert, essayer de surprendre le navire à son mouillage, faire à huit ce qu’il était déjà si audacieux de faire à dix ?… En tout cas, il fallait profiter du canot pour s’éloigner, gagner un point de la baie et se jeter à travers la campagne.

Avant de se décider, Harry Markel remonta sur l’appontement. Ne voyant personne le long du quai, il se préparait à rembarquer afin de pousser au large, lorsque deux hommes se montrèrent au tournant de l’une des rues, sur la droite de celle qu’avaient suivie Corty et Harry Markel.

C’étaient John Carpenter et Ranyah Cogh. Ils se dirigèrent à pas rapides vers l’appontement. Aucun policeman à leurs trousses, d’ailleurs. Ceux qui avaient été arrêtés étaient deux matelots qui venaient d’en frapper un troisième, précisément dans la taverne de Blue-Fox.

En quelques mots, Harry Markel fut mis au courant. Une escouade barrant la rue, lorsque le maître d’équipage et le cuisinier arrivèrent à l’entrée, impossible d’atteindre le quai par cette issue. Tous deux durent rebrousser chemin jusqu’à la ruelle déjà occupée par d’autres constables et fuir vers le haut du quartier. De là, ce retard qui avait failli tout compromettre.

« Embarque ! » se borna à dire Harry Markel.

En un instant, John Carpenter, Ranyah et lui eurent pris place dans le canot. Quatre se tenaient à l’avant, leurs avirons parés. L’amarre fut larguée aussitôt. Le maître d’équipage tenait la barre, ayant près de lui Harry Markel et les autres.

La mer baissait encore. Avec le jusant qui durerait une demi-heure, le canot aurait le temps d’atteindre l’anse Farmar, distante de deux milles au plus. Les fugitifs finiraient bien par apercevoir l’Alert à son mouillage, et il ne serait pas impossible de surprendre le navire, avant qu’il eût pu se mettre en état de défense.

John Carpenter connaissait la baie. Même au milieu de cette profonde obscurité, en se dirigeant vers le sud-sud-est, il était assuré d’atteindre l’anse. Certainement, on apercevrait alors le feu réglementaire que tout navire hisse à son avant, lorsqu’il est à l’ancre dans une baie ou dans un port.

À mesure que marchait l’embarcation, les dernières lumières de la ville se novaient dans la brume. Pas un souffle d’air ne se faisait sentir. Aucune houle à la surface de la baie. Le calme le plus complet devait régner au large.

Vingt minutes après avoir quitté l’appontement, le canot s’arrêta.

John Carpenter, se relevant à demi :

« Un feu de navire… là… », dit-il.

Une lumière blanche brillait à une quinzaine de pieds au-dessus de l’eau, à une distance de cent toises.

Le canot, se rapprochant de la moitié de cette distance, resta immobile.