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doute, il s’était échappé, exprès, pour protester contre l’envoi en pension dont on l’avait menacé. La journée ne s’achèverait pas sans renseignements.

La journée se passa, et personne ne put fournir le moindre indice du prétendu fugitif. Pourtant, dans toutes les auberges, dans toutes les maisons du pays, on avait prévenu afin que tous les arrivants fussent interrogés, ce qui était d’ailleurs inutile, car la disparition d’Yves faisait grand bruit, par elle-même.

Nul n’avait vu Yvonnaïk à quinze ou vingt lieues à la ronde.

L’accablement du chevalier, dont l’attente tournait en déception, s’ajoutant au désespoir du grand-père et de la sœur aînée, fit que le déjeuner fut morne. Dans la journée, on vint prévenir au château, non pas qu’on avait retrouvé l’enfant perdu, mais au contraire qu’il venait d’en être perdu un autre. Une petite fille, cette fois, et qui n’avait aucun motif pour fuir la maison paternelle.

En l’apprenant, le chevalier se reprit à respirer. Maintenant il entrevoyait à la disparition d’Yves une cause probable, il disait certaine, et autre que la mer, ce monstre tant redouté. Si deux enfants avaient disparu à quelques heures d’intervalle, la veille et le jour du Pardon, il fallait qu’ils eussent été enlevés, l’un et l’autre, qu’ils eussent été volés. Et les soupçons du chevalier se portèrent immédiatement sur des faiseurs de tours, arrivés pour le Pardon, et qu’on avait vus exécuter leurs exercices sur la place du village, puis disparaître avant la fin de la journée, alors qu’il eût été naturel qu’ils restassent au moins jusqu’au soir, à jongler pour gagner des sous.

Aussitôt, le chevalier sortit en toute hâte et se fit conduire à ceux qu’on lui désigna comme les parents de la petite fille perdue. Il les trouva, battant pour la centième fois les buissons et le champ d’ajoncs sur la falaise autour de l’attelage à bœufs.

Mme  Kornik pleurait comme une Madeleine et poussait des « mon Dieu », entremêlés de prières à la bonne Vierge. Kornik était sombre. Une partie des gens du Pardon s’étaient associés aux recherches dans les champs et au pied de la falaise où on craignait que la Manette ne fût tombée.

Peut-être ces recherches eussent-elles amené la découverte de la grotte, si précisément le chevalier ne fût intervenu.

« Vos recherches sont inutiles, fit le châtelain avec autorité, il est évident que si la petite fille était aux environs, on l’aurait déjà retrouvée. Elle aurait répondu aux appels. Il est clair que quelqu’un l’a prise et emmenée. Et cela, volontairement. C’est d’autant plus certain que mon fils a disparu lui-même depuis hier. Ce ne peut être que ces faiseurs de tours. Ils ont déguerpi au lieu de continuer leurs exercices. Ils s’accusent d’eux-mêmes. Voici ce qu’il faut faire, mon brave, dit-il en mettant la main sur l’épaule de Kornik : j’ai fait atteler un cheval vigoureux à ma voiture la plus légère. Vous allez partir avec mon domestique d’un côté, et moi, j’irai de l’autre, à cheval. De cette façon, nous ne pouvons pas les manquer. Et quand je les aurai rejoints, j’en fais mon affaire. »

Cette supposition parut non seulement vraisemblable, mais la seule admissible. On cessa aussitôt les recherches, et, un instant après, la falaise désertée, les deux pauvres enfants restaient décidément abandonnés à leur sort.

De la cour du château, le chevalier partit au galop, suivi de près par une désobligeante attelée d’un excellent cheval et poussée dur par le vieux Charlik et le fermier Kornik.

La découverte des présumés coupables ne fut pas difficile et ne prit pas beaucoup de temps. À deux heures à peine de Penhoël, le chevalier rencontra un campement. Une misérable voiture de bohémiens était arrêtée à un carrefour. Un cheval, invraisemblablement maigre, dont les côtes faisaient cerceau sous