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tèmes précédents, le Sânkhya pose au début une entité qu’il nomme la prakrti, disons « la Nature », composée à doses égales de trois éléments, dits « les trois qualités » (gunâs), savoir : bonté, passion et obscurité ; ces termes correspondent à peu près à ce que nous pourrions entendre par pureté impassible, activité incessante, et ignorance inerte. Ces éléments sont, dans la Nature, à l’état de parlait équilibre ; s’ils y restaient, rien ne deviendrait ; c’est ainsi que la physique contemporaine a été amenée à enseigner que, de par la loi d’équilibre de température, l’univers retourne lentement au chaos. Dès qu’un des éléments se trouve en excès ou en déficit, il émane de la Nature une entité nouvelle : le recensement en énumère 23, qui sont les bases de la création tout entière.

En face de la Nature, éternelle comme elle, mais au contraire absolument dépourvue de qualités (nirguna), se dresse une autre entité, « l’Homme » (purusa), c’est-à-dire « l’Âme » ; mais disons « le Moi », afin de lui conserver son genre masculin, qui plus tard a prêté à dire que l’univers était sorti de l’union sexuelle du Purusa et de la Prakrti. Le Moi, par définition, est transcendantalement indifférent, incapable de sentir, de penser, de vouloir, d’agir, ne fût-ce que pour faire osciller un brin d’herbe. Chaque moi — ils sont en nombre indéfini — est isolé, impuissant à entrer en communication avec les autres ou avec la Nature, simple témoin