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Derrière Visconti une mince stèle de pierre précédée de quatre cyprès porte cette inscription :

J. L. TALLIEN,
né en 1767, mort en 1820.

Que de pages sombres et terribles dans ces deux lignes ! que de sang entre ces deux dates !

TALLIEN fut un de ces aventuriers d’idées et de condition qui naissent avec l’impatience de la célébrité dans l’âme, sans en avoir la portée dans l’esprit. A la Convention il vota la mort de Louis XVI, dans la conviction qu’en abolissant le signe vivant de la royauté il abolissait la royauté elle-même. Commissaire de la Convention à Bordeaux, il y installa la guillotine, poursuivit sans relâche les derniers débris de la Gironde, et fit tomber en quelques semaines près de huit cents têtes de suspects. La révolution était un instinct et non une religion chez lui ; il en eut l’ivresse, parceque le sang est contagieux comme l’air et monte au cerveau des exaltés ; mais il n’en eut jamais l’amour. Jeune, beau, étourdi de sa puissance, terrible et indulgent par saccades, il gouvernait Bordeaux en satrape plutôt qu’en délégué du peuple, lorsqu’une femme se sentit assez courageuse pour l’affronter et assez séduisante pour l’attendrir. La nature se sert souvent des attraits d’une fille d’Ève pour subjuguer les despotes, et celle-ci était la statue vivante de la beauté. Tallien, qui faisait trembler le Midi, rampa à ses pieds, et elle se donna à lui pour devenir la providence des persécutés. Elle était fille du comte de Cabarus, et veuve du marquis de Fontenay. Robespierre prit ombrage du crédit de cette femme quand elle revint avec Tallien à Paris, et la fit jeter dans un cachot où se trouvait déjà Joséphine, la future impératrice des Français. De sa prison Mme Tallien sut inspirer à son mari le courage d’attaquer Robespierre. La veille du jour fixé pour l’exécution de celle qu’il aimait, Tallien se rendit à la Convention avec le poignard qu’elle lui avait envoyé, et l’agita à la tribune devant la poitrine de Robespierre. Cette exaltation entraîna l’assemblée, et le surlendemain Robespierre portait sa tête sur l’échafaud.

Tallien servit la révolution comme le vent sert la tempête, en sou-