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Ce chantre de la nature se montra à la fois porte harmonieux, écrivain moral et cœur sensible. Quoique royaliste, il fut respecté sous la terreur. Ses traductions de Virgile et de Newton ont reproduit dans la langue française toutes les beautés des originaux. Il devint aveugle comme Milton, et mourut en versifiant le 1er mai 1813. Son corps embaumé resta plusieurs jours exposé au collège de France, et un concours immense raccompagna ici.

Près de Delille reposent le chevalier de BOUFFLERS, le comte de SABRAN, LA HARPE, SAINT-LAMBERT et DUREAU DE LA MALLE.

Le chevalier Stanislas DE BOUFFLERS, fils de la marquise de Boufflers, maîtresse du roi Stanislas, se rendit célèbre par sa vie épicurienne et ses poésies très légères. On le destinait à l’Eglise ; mais il déclara franchement au bon roi Stanislas que le plaisir était la seule affaire dont il voulut s’occuper, et ne consenti de l’abbaye qu’on lui avait donnée que les 40,000 livres de revenu qui y étaient attachées. C’était un de ces brillants seigneurs de l’ancien régime qui semaient leur esprit au vent et jetaient tant d’éclat sur la société française. Voltaire l’aimait beaucoup, et applaudissait à ses ingénieux badinages. Il partit un jour pour l’armée avec son bagage de bons mots ; mais il se lassa bientôt de la vie des camps, et s’en alla comme il était venu, en recommandant à son régiment de se couvrir de gloire. Tout en courant le monde il devint colonel, général, gouverneur de pays qu’il visitai peine ; mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’avec son mince bagage de calembours et de chansons il arriva d’emblée à l’académie française. Quand un savant prononçait un discours, Boufflers faisait circuler la charge du bonhomme, et ses graves collègues avaient beaucoup de peine à garder leur sérieux. La révolution arriva, et Boufflers courut encore, mais cette fois sur le chemin de l’exil. C’était un de ces hommes qui ne vieillissent pas, parcequ’ils n’ont que les qualités du premier âge. Quand il vit approcher sa fin, il composa pour lui cette épitaphe :

Ci-git un chevalier qui sans cesse courut,
Qui sur les grands chemins naquit, vécut, mourut,
Pour prouver ce qu’a dit le sage,
Que notre vie est un voyage,