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nous en révèle un à un les mystères. Il comparait les sciences mathématiques aux sciences naturelles. Un naturaliste qui aurait cherché à deviner le secret de Dieu, au lieu de consulter l'expérience, lui aurait paru non seulement présomptueux mais irrespectueux pour la majesté divine ; les Cantoriens lui paraissaient vouloir agir de même en mathématiques. Et c'est pourquoi, réaliste en théorie, il était idéaliste en pratique. Il y a une réalité à connaître et elle est extérieure à nous et indépendante de nous ; mais tout ce que nous en pouvons connaître dépend de nous, et n'est plus qu'un devenir, une sorte de stratification de conquêtes successives. Le reste est réel mais éternellement inconnaissable.

Le cas d'Hermite est d'ailleurs isolé et je ne m'y étends pas davantage. De tout temps, il y a eu en philosophie des tendances opposées et il ne semble pas que ces tendances soient sur le point de se concilier. C'est sans doute parce qu'il y a des âmes différentes et qu'à ces âmes nous ne pouvons rien changer. Il n'y a donc aucun espoir de voir l'accord s'établir entre les Pragmatistes et les Cantoriens. Les hommes ne s'entendent pas parce qu'ils ne parlent pas la même langue et qu'il y a des langues qui ne s'apprennent pas.

Et pourtant en mathématiques ils ont coutume de s'entendre ; mais c'est justement grâce à ce que