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[1580. — 10 avril.] — IIme.

Orig. autographe. – Collection de M. F. Feuillet de Conches.


À LA ROYNE DE NAVARRE, MA FEMME[1].

M’amie, Encores que nous soyons vous et moy tellement unis, que nos cœurs et nos volontez ne soyent qu’une mesme chose, et que je n’aye rien sy cher que l’amityé que me portés ; pour vous en rendre les devoirs dont je me sens obligé, sy vous prieray-je ne trouver estrange une resolution que j’ay prise, contrainct par la necessité, sans vous en avoir rien dict. Mais puisque c’est force que la sçachiés, je vous puis protester, M’amie, que ce m’est un regret extreme, qu’au lieu du contentement que je desirois vous donner, et vous faire recevoir quelque plaisir en ce païs, il faille tout le contraire, et qu’aïés ce desplaisir de voir ma condition reduicte à un tel mal-heur. Mais Dieu sçait qui en est cause. Depuis que vous estes icy, vous n’avés

  1. Par le ton de cette lettre, rapproché des circonstances où elle fut écrite, on ne peut méconnaître une lettre ostensible. L’Estoile, d’après un bruit que fit courir Marguerite elle-même, a cru que tout ce qui se fit alors fut à l’insu de cette princesse ; mais elle n’ignorait rien de ce que lui annonce ici le roi son mari. Cette lettre fut écrite dans un moment où la bonne intelligence régnait entre eux. D’ailleurs, avec son esprit et sa pénétration, Marguerite aurait aisément compris tous les mouvements qui se seraient faits autour d’elle, lorsqu’elle-même ne les aurait pas dirigés. Or l’histoire est formelle à cet égard : cette guerre fut son ouvrage. À l’exemple de sa mère, elle employa ses filles d’honneur à séduire les seigneurs sur lesquels elle tenait à exercer son influence. « Elle-même, dit d’Aubigné, gaigna pour ce poinct le vicomte de Turenne. » C’était le personnage le plus considérable de cette petite cour après le roi. Lorsque Henri réunit son conseil secret pour la dernière décision, tous ceux qu’il avoit appelés pour en dire leur advis, ajoute d’Aubigné, estoient amoureux, et partant plains des instructions que nous avons marquées. » Mézeray, dans son Abrégé chronologique, expose ainsi tout le manège de la reine de Navarre : « Elle instruisit les dames de sa suite à envelopper tous les braves d’auprès de son mari dans leurs filets, et fit en sorte que luy-mesme se prit aux appasts de la belle Fosseuse, qui ne pratiqua que trop bien les leçons de sa maistresse. Ce furent là les vrais boute-feux des sixiesmes troubles ; aussy les nomma-t-on la guerre des amoureux. » La déclaration en fut faite le 10 avril, date que j’ai cru devoir donner à cette lettre semi-officielle.