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Je n’ai pu résister au douloureux plaisir de réimprimer dans ce livre les gracieuses pages dont mon défunt ami Gérard de Nerval a fait précéder l'Intermezzoet la Mer du Nord. Je ne peux pas, sans une profonde émotion, songer aux soirées du mois de mars 1848, où le bon et doux Gérard venait tous les jours me trouver dans ma retraite de la barrière de la Santé, pour travailler tranquillement avec moi à la traduction de mes paisibles rêvasseries allemandes, tandis qu’autour de nous vociféraient toutes les passions politiques et s’écroulait le vieux mondé avec un fracas épouvantable ! Plongés comme nous étions dans nos discussions esthétiques et même idylliques, nous n’entendîmes pas les cris de la fameuse femme aux grandes mamelles qui parcourait alors les rues de Paris en hurlant son chant : « Des lampions ! des lampions ! » la Marseillaise de la révolution de février, de malencontreuse mémoire. Malheureusement mon ami Gérard, même dans ses jours lucides, était sujet à de continuelles distractions, et je découvris, mais trop tard pour y remédier, qu’il avait égaré sept morceaux de la série qui forme la Mer du Nord. J’ai laissé cette lacune dans mon poème pour ne pas nuire à l’ensemble dont l’harmonieuse unité de couleur et de rhythme aurait pu être gâté par l'intercalation de morceaux dus au labeur inculte de ma propre plume. La diction de Gérard coulait avec une pureté suave, qui était inimitable, et qui ne ressemblait qu’à l’incomparable douceur de son âme. C’était vraiment