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colin-maillard avec de jolis petits anges, je voudrais enfin goûter le bonheur et le repos ! »

On entend alors un frôlement de pantoufles qui traînent, on entend retentir aussi le cliquetis d’un trousseau de clefs, et par un guichet de la porte voici que paraît le visage de saint Pierre.

Il dit : « Il nous vient ainsi des vagabonds, des Bohémiens, des chenapans, des marchands de contre-marques, des Hottentots, soit isolés, soit par troupes, qui veulent tous entrer au ciel et devenir des anges et des bienheureux. Holà ! holà ! ce n’est pas pour des gibiers de potence, pour des vauriens de votre espèce que sont construits les célestes palais. Vous êtes la propriété de Satan. Holà ! vite, qu’on parte d’ici ! Allez, et promptement, allez chercher les gouffres noirs de l’éternel enfer. »

Ainsi grogne le vieux saint Pierre, mais il ne persiste pas longtemps dans sa mauvaise humeur ; il prononce à la fin d’une voix débonnaire ces consolantes paroles : « Pauvre âme, tu ne sembles pas appartenir à cette race de coquins. Non, non ! j’accomplirai tes désirs, parce que c’est précisément ma fête aujourd’hui et qu’une fantaisie de compassion m’attendrit l’âme. Dis-moi de quel royaume et de quelle ville tu es ; dis-moi aussi si tu as été marié. La patience conjugale expie souvent les plus graves péchés de l’homme. Un mari n’a pas besoin de cuire à l’étuvée dans l’enfer, et on ne le fait pas attendre devant les portes du ciel ! »