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Mais ici, en haut, que le soleil et les roses me torturent cruellement ! Le ciel se raille de moi, le bleu ciel, le ciel de mai… Ô monde charmant, tu es hideux !


III
LE CORPS ET L’ ÂME

La pauvre âme dit au corps : Je ne te quitte pas, je reste avec toi, avec toi je veux m’abîmer dans la nuit et la mort, avec toi boire le néant. Tu as toujours été mon second moi, tu m’enveloppais amoureusement comme un vêtement de satin doucement doublé d’hermine… Hélas ! il faut maintenant que, toute nue, toute dépouillée de mon cher corps, un être purement abstrait, je m’en aille errer là-haut, comme un rien bienheureux, dans les royaumes de la lumière, dans ces froids espaces du ciel, où les éternités silencieuses me regardent en bâillant. Elles se traînent là pleines d’ennui et font un claquement insipide avec leurs pantoufles de plomb. Oh ! cela est effroyable ; oh ! reste, reste avec moi, mon corps bien-aimé !

Le corps dit à la pauvre âme : Oh ! Console-toi. Ne t’afflige pas ainsi. Nous devons supporter en paix le sort que nous a fait le destin. J’étais la mêche de la lampe, il faut bien que je me consume ; toi, l’esprit, tu seras choisi là-haut pour briller, jolie petite étoile, de la clarté la