Page:Heine - Poëmes et légendes, 1861.djvu/348

Cette page n’a pas encore été corrigée


I

SOIF DE REPOS


Laisse saigner tes blessures, laisse tes larmes couler sans tarir ; il y a dans la douleur des débauches de volupté secrète, et les pleurs sont un baume bien doux.

Si une main étrangère ne t’a pas blessé, tu feras bien de te blesser toi-même ; n’oublie pas non plus de remercier gracieusement le bon Dieu quand des larmes mouilleront tes joues.

Le bruit du jour s’évanouit, la nuit descend avec ses longs crêpes. Dans son sein, point de fripon ni d’imbécile qui vienne troubler ton repos.

Là tu seras en sûreté contre la musique, contre la torture du piano-forte, contre la magnificence du Grand-Opéra, contre ses terribles tintamarres de bravoure.

Là tu ne seras plus poursuivi, torturé, par la tourbe des virtuoses, par le génie de Giacomo, et par les applaudisseurs chargés de porter son nom jusqu’aux confins du monde.

Ô tombeau, tu es le paradis des oreilles délicates qui craignent le bruit populacier de la multitude ! La mort est bonne ; cependant il vaudrait mieux encore n’être jamais né.