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Les poésies que vient d’écrire M. Henri Heine ; et qui paraissent dans sa patrie, à Hambourg, en même temps que nous en donnons ici une traduction française, sont un document de plus pour cette étude littéraire et morale. Si l’on ne considère ici que le poète, jamais M. Henri Heine n’a manié une langue plus nerveuse et plus souple, jamais ce mélange de simplicité familière et de fantaisie ardente qui fit la fortune du Livre des Chants n’a produit des effets plus extraordinaires. Nul écrivain depuis Gœthe n’a façonné l’idiome germanique avec cette puissance magistrale ; on dirait parfois de véritables tours de force. Quant au fond même des pensées, — et c’est là surtout ce qui intéresse le lecteur français, puisqu’une traduction ne saurait rendre ni les hardiesses ni les dextérités de cette langue originale, — il semble qu’on y entende le cri suprême de l’inspiration humoristique. Ce sont comme les songes de la fièvre, c’est comme le délire de la souffrance. Tantôt des satires bouffonnes se mêlent à des plaintes d’une amertume poignante, tantôt le poète, placé entre la vie et la mort, les confronte et les raille toutes les deux. Quelle sera sa destinée dans ce monde mystérieux au seuil duquel la maladie l’enchaîne ? Que sera ce monde lui-même ? Sera-ce celui du moyen âge, l’enfer en bas, le paradis en haut, et saint Pierre tenant les clefs célestes ? Cet anthropomorphisme, qu’il est si difficile d’éviter et dont on ne se préserve le plus souvent que pour tomber dans les vides abstractions, lui inspire des peintures bouffonnes, où s’exprime surtout, ne vous y trompez pas, l’impuissance de la pensée métaphysique. Et cette vie même qu’il va quitter, lui est-elle mieux connue ? Que d’énigmes, et quelles énigmes ? Pourquoi tant d’injustices ? pourquoi tant de douleurs imméritées ? La vie lui apparaît alors sous maintes formes grotesquement odieuses, et il déroule les strophes du Négrier, ou bien il imagine un fantasque et effrayant symbole : il chante le Château des Affronts. Au milieu de tout cela