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Je ne puis pas oublier, ô ma maîtresse, ma douce amie, que je t’ai autrefois possédée corps et âme.

Pour le corps, je voudrais encore le posséder, ce corps si svelte et si jeune ; quant à l’âme, vous pouvez bien la mettre en terre… J’ai assez d’âme moi-même.

Je veux partager mon âme et t’en insuffler la moitié, puis je m’entrelacerai avec toi et nous formerons un tout de corps et d’âme.


38

Des bourgeois endimanchés s’ébaudissent parmi les bois et les prés ; ils poussent des cris de joie, il bondissent comme des chevreaux, saluant la belle nature.

Ils regardent avec des yeux éblouis la romantique efflorescence de la verdure nouvelle. Ils absorbent avec leurs longues oreilles les mélodies des moineaux.

Moi, je couvre la fenêtre de ma chambre d’un rideau sombre, cela me vaut en plein jour une visite de mes spectres chéris.

L’amour défunt m’apparaît, il revient du royaume des ombres, il s’assied près de moi, et par ses larmes me navre le cœur.


39

Maintes images des temps oubliés sortent de leur tombe et me montrent comment je vivais jadis près de toi, ma bien-aimée.

Le jour je vaguais en rêvant par les rues ; les voisins me regardaient étonnés, tant j’étais triste et taciturne.

La nuit, c’était mieux ; les rues étaient désertes ; moi et mon ombre nous errions silencieusement de compagnie.

  1. Cette pièce, qui, dans les éditions allemandes de l’Intermezzo, figure à l’appendice, a été intercalée à cette place dans la traduction française faite par Gérard de Nerval sous les yeux de Heine lui-même. (Note des éditeurs).