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Le sire dit : « Je la connais, cette fulgurante figure ; son charme me poursuit sans cesse, dans la foule et dans la solitude.

« Ses lèvres sont deux petites roses, ses lèvres gracieuses et fraîches ; mais elles laissent passer souvent mainte parole de haine amère.

« C’est pourquoi cette mignonne bouche ressemble absolument à de jolis buissons de roses où les vipères insidieuses sifflent dans le feuillage obscur.

« L’adorable fossette de cette adorable joue, c’est la fosse dans laquelle me pousse mon désir affolant.

« Les beaux cheveux bouclés qui tombent de la plus belle tête, c’est le magique filet dans lequel m’a jeté le malin.

« Et cet œil bleu, aussi clair que la vague apaisée, je l’ai pris pour la porte du paradis, et c’était le seuil de l’enfer. »

Sire Ulrich poursuit sa chevauchée dans la sombre forêt bruissante. Il aperçoit au loin une seconde figure, une si pâle et si triste figure.

Le sire dit : « Ô ma mère, toi qui m’aimas si tendrement, j’ai mêlé l’amertume à ta vie par mes actions et mes paroles coupables !

« Oh ! je voudrais, de ma douleur brûlante, sécher tes yeux humides ! Oh ! je voudrais empourprer tes joues pâles avec le sang de mon cœur ! »

Et sire Ulrich poursuit sa chevauchée, dans la forêt que l’ombre gagne. Il s’élève des voix étranges, et la brise du soir susurre.

Le sire entend ses paroles se répercuter de toutes parts : Ce sont les gais oiseaux des bois qui, bruyamment, sifflent et chantent :

« Sire Ulrich chante une jolie chanson, c’est la chanson de ses regrets, et quand il a fini de la chanter, alors il la recommence. »