Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les courtisans étaient assis en cercle bariolé, et vidaient des gobelets remplis d’un vin étincelant.

Le cliquetis des gobelets se mêlait aux cris d’allégresse des convives, et ce bruit caressait agréablement l’oreille de l’orgueilleux roi.

Les joues du roi se colorèrent de pourpre ; en buvant, l’audace lui montait, et son outrecuidance l’entraîna jusqu’aux blasphèmes.

Et il se carrait dans son impiété, et il vomit des injures contre Dieu ; la troupe des courtisans rugissait d’admiration.

Le roi appela du regard ; un serviteur sortit et revint aussitôt.

Il portait sur la tête des vases d’or et d’argent, qui avaient été enlevés du temple de Jérusalem.

Et d’une main sacrilège le roi saisit une coupe sacrée, il la remplit jusqu’aux bords, puis il la vida d’un trait et cria :

« Jéhovah, dieu des Hébreux, pauvre sire, je défie ta puissance, moi, le roi de Babylone. »

À peine ces paroles furent-elles prononcées, que le roi ressentit au cœur une angoisse secrète.

Les rires bruyants se turent tout à coup : il se fit dans la salle un silence de tombeau.

Voyez ! voyez ! sur le mur blanc quelque chose s’avança comme une main d’homme.

Elle écrivit sur le mur blanc des caractères de feu, elle écrivit et disparut.

Le roi resta les yeux hagards, les genoux tremblants, et blême comme la mort.

Les courtisans furent glacés de terreur et restèrent muets ; leurs dents claquèrent.

Les mages chaldéens arrivèrent et secouèrent la tête ; nul d’entre eux ne put interpréter les lettres de feu tracées sur le mur.