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ALLEMAGNE


RÊVE[1]

Fils de la folie, ne cesse pas de rêver alors que ton cœur se gonfle en ta poitrine ; mais ne demande pas à la vie de ressembler à ton rêve !

Jadis, au temps de mes beaux jours, je me trouvais sur la plus haute montagne des bords du Rhin. À mes pieds les plaines de l’Allemagne resplendissaient dans la lumière.

Les vagues murmuraient d’enchanteresses mélodies ; mon cœur se berçait de doux pressentiments.

Quand je prête aujourd’hui l’oreille au chant des vagues, non, ce n’est plus la même mélodie : le beau rêve s’est depuis longtemps dissipé, la belle illusion s’est depuis longtemps brisée.

Quand aujourd’hui de ma montagne, je regarde la terre allemande, je ne vois qu’un pauvre peuple de nains qui rampe sur la tombe des géants.

Des enfants gâtés sont vêtus de soie, ils se disent la fleur de la nation ; des coquins ont la croix d’honneur, des stipendiés plastronnent comme des hommes libres.

C’est une caricature des ancêtres que ce peuple en costume allemand, car nos redingotes antiques évoquent mélancoliquement le passé.

Ce passé où, sans ostentation, la morale et la vertu allaient se donnant la main, où les jeunes avec vénération se tenaient debout devant les anciens ;

Où nul jeune homme ne mentait à une jeune fille avec les soupirs d’usage ; où nul adroit despote n’érigeait le parjure en loi ;

  1. Écrit en 1816.