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voilà que vint la fille du patron, avec l’aiguille et les ciseaux ; elle m’a percé le cœur, avec l’aiguille et les ciseaux. »

Et les spectres en chœur éclatèrent de rire. Un second personnage s’avança grave et calme :

« Rinaldo Rinaldini, Schinderhanno, Orlandini, et surtout Carlo Moor étaient les modèles que je m’étais proposés.

« Je suis devenu amoureux — j’ai bien l’honneur de vous le dire — à l’égal de ces preux chefs de bande ; une idéale figure de femme obsédait follement mon esprit.

« Et je soupirais et je roucoulais. Et comme l’amour m’avait égaré la caboche, je plongeai un beau jour la main dans la poche de mon prochain.

« La police me chercha noise, d’avoir voulu essuyer mes larmes d’amour avec le mouchoir de mon prochain.

« Et selon l’usage des sbires, on m’appréhenda au collet et je fus enfermé dans une prison respectable.

« Et là, plongé dans mon rêve d’amour, je passai mon temps à filer de la laine, jusqu’à ce que l’ombre de Rinaldo eut délivré mon âme de sa prison terrestre. »

Et les spectres en chœur éclatèrent de rire. Un troisième personnage s’avança, maquillé et paré :

« J’étais jadis le roi des planches, et j’y jouais les amoureux. Je poussais de farouches : Dieux ! Je soupirais de tendres : Hélas !

« Je jouais surtout très bien le rôle de Mortimer : Marie Stuart était si jolie ! Mais malgré l’éloquence de mon jeu, elle faisait semblant de ne pas me comprendre.

« Une fois que je m’écriais désespérément : « Marie, ô sainte femme ! » je sortis mon poignard et, plus profondément qu’il n’eut fallu, je me frappai avec. »

Et les spectres en chœur éclatèrent de rire. Un quatrième, vêtu de drap blanc, comme un étudiant, s’avança à son tour :