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« Cher frère, je suis à toi à l’instant. » Et de la tombe entr’ouverte se lève une forme blanche.

Et c’est le ménétrier lui-même. Il s’assied sur la pierre tombale. Pinçant vivement les cordes de sa cithare, il chanta d’une voix aiguë et criarde :

« Dites, cordes sourdes et moroses, connaissez-vous encore la vieille chanson qui jadis enflammait sauvagement nos cœurs ? Les anges disent qu’elle est la félicité céleste, les démons un mal infernal ; les hommes l’appellent amour. »

À peine ce mot d’amour avait-il retenti que toutes les tombes s’entr’ouvrirent. Et des spectres accoururent en foule autour du musicien, et d’une voix pointue, ils se mirent à chanter en chœur :

« Amour ! Amour ! c’est ta puissance qui, en ce lieu, nous a couchés. C’est ta puissance qui nous a clos les paupières. Pourquoi nous appelles-tu dans la nuit ?

Et ce sont des hurlements, des gémissements et des caquetages confus. L’air ébranlé résonne, et siffle, et grince. Et l’essaim fou fait cercle autour du musicien qui attaque ses cordes avec frénésie :

« Bravo ! Bravo ! Toujours fous ! Soyez les bienvenus ! Vous avez entendu mon magique appel. Nous qui sommes condamnés à l’éternelle immobilité du sépulcre, déridons-nous aujourd’hui ensemble. Mais d’abord, voyons, sommes-nous bien seuls ?

« Nous avons été des dupes du temps de notre vie, brûlés que nous étions d’une folle passion d’amour. Mais nous ne risquons pas de nous ennuyer aujourd’hui, car il faut que chacun raconte fidèlement ce qui l’a amené ici et combien il a été persécuté et déchiré par la folle poursuite de l’amour. »

Et alors s’avance au milieu du cercle un maigre personnage léger comme le vent, qui prend la parole d’une voix fredonnante :

« J’étais un apprenti tailleur avec l’aiguille et les ciseaux ; j’étais fort habile et fort preste, avec l’aiguille et les ciseaux ;