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En un doux rêve, au milieu de la nuit paisible, comme par enchantements ma bien-aimée est venue à moi ; elle est entrée dans ma petite chambre.

Je la vois, la jolie figure, je la vois, elle sourit tendrement et sourit encore, si bien que mon cœur se gonfle et qu’impétueusement je m’écrie :

« Prends, prends tout ce que je possède ! je te donne tout, mon aimée, à condition que tu m’accordes d’être ton amant de la minuit au chant du coq. »

Elle me considéra d’un air étrange, si tendre, si triste, si profond, et elle me dit, la belle demoiselle : « Oh ! Donne-moi ta part de ciel. »

« Ma vie et ma jeunesse, ô jeune fille semblable aux anges, pour toi je les donnerais avec joie et avec bonheur, mais ma part de paradis — jamais ! »

Ce sont là les mots qui sortent de ma bouche, mais la jeune fille de plus en plus belle, ne cesse pas de dire : « Ô donne-moi ta part de ciel ! »

Ces mots font un bruit sourd à mon oreille, et s’insinuent au plus profond de mon âme ainsi qu’une coulée de flamme ; je respire lourdement, je respire à grand peine.

Il y avait de blancs petits anges nimbés d’or ; mais soudain un noir essaim d’affreux kobolds surgit impétueusement.

Ils se précipitèrent sur les anges, et ceux-ci furent mis en fuite, et le noir essaim des kobolds à son tour s’évanouit dans le brouillard.

Moi cependant, je me pâmais de joie, j’enlaçais de mes bras ma jolie bien-aimée ; elle se serre contre moi comme un jeune chevreuil, et pourtant elle répand des pleurs amers.

Ma jolie bien-aimée pleure ; je sais pourquoi elle pleure ; et, sans rien dire, je baise sa petite bouche de rose : « Ô bien-aimée, sèche ces larmes, cède à mon brûlant amour !