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où il me fallait journellement battre la grosse caisse, et où je faisais si maigre chère.

Je viens de me marier tout récemment avec une blonde cuisinière d’Alsace, et dans ses bras il me semble que j’ai retrouvé le bonheur du pays natal.

Ses pieds me rappellent ceux de mes chers éléphants ; et, quand elle parle français, je crois entendre l’idiome noir de ma langue maternelle.

Quelquefois elle bougonne, alors je pense au tintamarre de ce fameux tambour orné de crânes ; les serpents et les lions s’enfuyaient en l’entendant.

Cependant, au clair de lune, elle devient sentimentale, et pleure, comme un crocodile qui sort du fleuve embrasé pour respirer la fraîcheur.

Et quels bons morceaux elle me donne ! Aussi je prospère. Je mange ici comme au bord du Niger. J’ai retrouvé mon vieil appétit d’Afrique.

Je me suis même fait un petit ventre assez rondelet. Il s’élance de ma veste de toile comme, dans une éclipse, la lune assombrie sort des blanches nuées.


27
À AUGUSTE VARNHAGEN VON ENSE

Où diable, messer Ludovico, avez-vous péché toutes ces folles histoires ? s’écria le cardinal d’Este,

Lorsqu’il eut fini de lire le Roland furieux qu’Arioste avait humblement dédié à son éminence.

Varnhagen, mon vieil ami, je vois flotter sur tes lèvres la même exclamation avec le même fin sourire.

Parfois même tu ris aux éclats en lisant ; d’autres fois ton front se ride d’un pli méditatif, et tu rappelles alors tes souvenirs et tu dis :