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« Je pris congé de mon pays, et, dans mon voyage de perfectionnement, j’arrivai aux Pyrénées et à la maisonnette d’Uraka.

« Je lui remis une lettre de recommandation de la part de Justin Kermer. J’oubliai que cet ami était en relations avec les sorcières de tous les pays.

« Je reçus un accueil affectueux ; mais, à mon grand effroi, cette amitié d’Uraka ne fit que s’accroître, et finit par dégénérer en une passion charnelle.

« Oui, monsieur, la concupiscence avait allumé son feu impudique dans le sein flétri de cette affreuse mégère, et elle voulut me séduire.

« Mais je la suppliai : Ah ! pardonnez-moi, madame, je ne suis pas un frivole disciple de Gœthe ; j’appartiens à l’école des poètes de la Souabe.

« Notre muse est la morale en personne ; elle porte des caleçons de cuir de buffle. Ah ! ne vous attaquez pas à ma vertu !

« D’autres poètes ont de l’esprit, d’autres la fantaisie, d’autres la passion ; mais nous, les poètes souabes, nous avons la vertu.

« Voilà notre seul bien ! Par pitié, ne m’enlevez pas, madame, le manteau de gueux qui couvre ma nullité !

« C’est ainsi que je lui parlai, mais mes paroles honnêtes ne touchèrent pas la vieille qui sourit ironiquement, et qui, tout en souriant, prit une baguette de gui et m’en toucha la tête.

« Aussitôt j’éprouvai un froid malaise, comme si tout mon corps avait la chair de poule ; mais ce n’était pas la chair de poule,

« C’était la peau d’un chien qui me venait, et depuis cette heure maudite je suis métamorphosé, comme vous le voyez, en caniche ! » —

Pauvre diable ! Les sanglots lui coupèrent la parole, et il pleurait si copieusement, que je croyais littéralement le voir fondre en larmes.