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Les droits de l’homme ! qui vous a donné ces privilèges ? Ce n’est vraiment pas la raison, elle est toujours raisonnable.

Hommes, valez-vous donc mieux que nous parce que vous faites cuire et rôtir vos aliments ? Nous, nous mangeons les nôtres tout crus ;

Mais le résultat final est le même pour tous. Non, ce n’est pas la nourriture qui anoblit. Celui-là seul est noble qui pense et agit noblement.

Hommes, valez-vous mieux que nous à cause de vos arts et de vos sciences ? Nous autres, nous ne sommes pas des crétins.

N’y a-t-il pas des chiens savants ? et des chevaux qui comptent comme des membres de la haute finance ? Les lièvres ne jouent-ils pas du tambour à merveille ?

Maint castor ne s’est-il pas distingué en hydrostatique, et n’est-ce pas aux cigognes que l’on doit l’invention des clystères ?

Les ânes n’écrivent-ils pas des critiques ? Les singes ne jouent-ils pas la comédie ? Trouvez-moi une plus grande tragédienne que Batavia, l’illustre guenon ?

Les rossignols ne chantent-ils pas ? Freiligrath n’est-il pas poète ? Qui pourrait mieux chanter le roi nègre que son compatriote, le dromadaire !

Dans la danse, moi qui parle, j’ai été aussi loin que Raumer dans l’art d’écrire. Écrit-il mieux que je ne danse, moi pauvre ours ?

Hommes, pourquoi donc valez-vous mieux que nous ? Vous portez haut la tête, il est vrai, mais il rampe dans ces têtes de bien basses pensées.

Hommes, valez-vous mieux que nous parce que votre peau est unie et lisse ? Vous partagez cet avantage avec les serpents.

Hommes, race de serpents bipèdes, je comprends pourquoi vous portez des vêtements. Vous cachez sous la laine votre nudité de vipères.