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Juliette n’a pas l’âme allemande. C’est une Française. Elle vit au dehors ; mais son baiser est enchanteur, est enivrant.

Ses regards sont comme un filet de lumière dans les mailles duquel notre cœur se prend, tressaille et palpite éperdu.


2

Que le roi nègre de M. Freiligrath, dans son courroux mélancolique, se mette à faire résonner la peau du grand tambour jusqu’à ce qu’elle éclate et crève avec fracas,

Voilà qui fait vraiment vibrer le cœur et le tympan. — Mais figurez-vous un ours qui vient de briser sa chaîne !

La musique et les rires cessent ; le peuple se précipite hors de la place avec des cris d’effroi, les dames pâlissent.

Oui, Atta Troll vient de briser tout à coup sa chaîne d’esclave. D’un bond sauvage, franchissant les rues étroites,

(Chacun lui fait place très-poliment) il grimpe au haut des rochers, jette en bas comme un regard de mépris et disparaît dans les montagnes.

La noire Mumma et le montreur d’ours restent seuls sur la place déserte. L’homme furieux jette son chapeau à terre,

Trépigne dessus, foule aux pieds les madones, arrache sa couverture, met son corps à nu, jure, maudit et se lamente sur l’ingratitude,

La noire ingratitude des ours. Car n’a-t-il pas toujours traité Atta Troll comme un ami ? Ne lui a-t-il pas enseigné la danse ?

L’ingrat ne lui doit-il pas tout, même la vie ? Ne lui a-t-on pas offert inutilement cent écus de la peau d’Atta Troll ?

La pauvre noire Mumma, comme une statue de la douleur muette, est restée suppliante sur ses pattes de derrière, devant la colère du furieux.

Mais la colère du furieux tombe enfin, mais sur les épaules de la pauvrette ; il la roue de coups, la nomme reine Christine, femme Munoz, et cætera. —