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La préférence que j’ai donnée à ce genre est peut-être condamnable au point de vue littéraire ; mais tu mens, Brutus, tu mens, Cassius, tu mens aussi, Asinius, quand vous prétendez que ma raillerie atteint ces idées qui sont le plus précieux héritage de l’humanité, et pour lesquelles j’ai moi-même tant combattu et souffert ! Non, si le rire saisit irrésistiblement le poète, c’est quand il compare ces idées, qui planent devant lui dans toute leur grandeur et leur clarté splendide, avec les formes lourdes et grossières dont les affublent ses contemporains tudesques : il raille alors, pour ainsi dire, la peau d’ours temporelle de ces idées. Il y a des miroirs dont la glace est taillée à facettes si obliques, qu’Apollon même y serait une caricature. Nous rions alors de la caricature et non pas du dieu.

Un seul mot encore. Est-il besoin de faire remarquer qu’en tirant des poésies de Freiligrath une phrase qui revient plusieurs fois dans Atta Troll, et qui en fait pour ainsi dire la ritournelle comique, je n’ai nullement eu l’intention de déprécier cet écrivain ? Je fais grand cas de Freiligrath, surtout maintenant, et je le compte parmi les poètes les plus remarquables qui aient paru en Allemagne depuis la révolution de juillet. Son premier recueil me tomba sous la main à l’époque même ou j’écrivais Atta Troll, et la disposition d’esprit dans laquelle j’étais alors doit expliquer l’impression bouffonne que me causa particulièrement la lecture du petit poème intitulé : Le Roi nègre. Ce morceau est vanté cependant comme un des meilleurs du poète. Pour les lecteurs qui ne le connaissent pas, je dirai simplement que le roi nègre, qui sort de sa tente blanche, pareil à une éclipse de lune, possède aussi une brune compagne, sur le noir visage de laquelle se balancent de blanches plumes d’autruche ; mais dans son ardeur belliqueuse il l’abandonne, et se rend au combat des nègres où résonne le tambour orné de crânes. Hélas ! il trouve là son Waterloo noir, et il est vendu aux blancs par les vainqueurs. Les blancs emmènent le noble captif en Europe, et là nous le retrouvons au milieu d’une troupe de saltimbanques qui lui ont confié le soin de jouer du tambour turc pendant leurs exercices. Il est là, maintenant, sombre et solennel, tam-