Page:Heine - Œuvres de Henri Heine, 1910.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Peut-être a-t-on rencontré cette tête exaltée les armes à la main — (tout le monde n’a pas autant d’esprit que notre confrère Horace, qui a pris si vaillamment la fuite).

Encore des coups. C’est peut-être une fête, un feu d’artifice pour l’anniversaire de Gœthe. Ou sont-ce des fusées qui saluent la résurrection de mademoiselle Sontag ? Elle sort de sa tombe de vingt ans, et avec elle revient toute la vieille musique.

Le piano résonne. — Voilà aussi Liszt qui revient, le chevalier Franz Liszt ; il vit, il n’est pas étendu sanglant sur un champ de bataille de la Hongrie ; ni un Russe, ni un Croate ne l’a tué.

Le dernier boulevard de la liberté vient de crouler, et la Hongrie verse sa dernière goutte de sang. — Mais le chevalier Franz est resté sain et sauf ; il se porte bien, lui et son sabre d’honneur ; le sabre est serré dans sa commode.

Franz vit, il vivra longtemps, et, vénérable vieillard, il racontera à ses petits-fils les grands faits et gestes de la guerre de Hongrie. — C’est ainsi, dira-t-il avec sir John Falstaff, c’est ainsi que je fis la passe et que je maniai mon sabre.

Quand ce nom de Hongrie frappe mon oreille, mon gilet de flanelle allemand me devient trop étroit ; c’est comme si une mer s’agitait au-dessous, et je crois entendre le son des clairons.

Dans mon cœur résonnent de nouveau les exploits légendaires oubliés depuis si longtemps, le chant bardé de fer des vieux chants, le chant de la ruine des Nibelungen.

C’est le même labeur héroïque, ce sont les mêmes histoires de héros ; les hommes sont les mêmes, seulement les noms sont changés.

Leur sort est le même aussi. Quelque fièrement que flottent les joyeux étendards, le héros, selon la vieille coutume, doit succomber sous les forces brutales des brutes.

Et cette fois, le taureau a même fait une alliance avec l’ours. — Vous tombez, Magyars, mais consolez-vous, nous autres Allemands, nous avons bu une honte plus amère.