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comme autant de verges, me faisaient des signes d’avertissement, et je m’écriai : « Pardonne-moi, mon empereur bien-aimé !

« Pardonne-moi, ô Barberousse, ces paroles trop promptes ! je sais que tu es plus sage que moi ; j’ai si peu de patience ! Sors bientôt, mon empereur, de ta montagne, — reviens ! reviens !

« Si la guillotine ne te plaît pas, tiens-t’en aux anciennes méthodes : l’épée pour les nobles, la corde pour les bourgeois et les vilains.

« Seulement change de temps en temps, fais pendre les nobles et décapiter un peu les bourgeois et les paysans ; car nous sommes tous des créatures du bon Dieu.

« Rétablis le Code pénal, la procédure impitoyable de Charles-Quint, et divise le peuple en états, en communautés et en corporations.

« Rétablis-nous le vieux Saint Empire Romain, rends-nous toutes ces guenilles resplendissantes avec toutes leurs gentillesses vermoulues.

« Le moyen âge, le vrai moyen âge tel qu’il a été, je veux bien l’accepter ; mais délivre-nous de ce régime bâtard.

« De cette chevalerie en uniforme prussien, hideux mélange de superstition gothique et de moderne mensonge, qui n’est ni chair ni poisson.

« Chasse-moi cet attirail de comédiens, chasse-les de ces tréteaux où l’on parodie le passé. Viens, viens, empereur Barberousse ! »


18

Minden est une forteresse qui a de beaux remparts. Pourtant j’aime peu avoir affaire avec les forteresses prussiennes.

Nous y arrivâmes vers le soir. Les planches du pont-levis gémissaient d’une façon si lamentable quand nous le traversâmes. Au bas, les sombres fossés étaient béants.

Les hauts bastions nous regardaient d’un air chagrin et menaçant. La grande porte s’ouvrit en grinçant et se ferma en grinçant aussi.