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« Et toi, qui es-tu, toi qui oses me parler si familièrement ? Attends, mon garçon, je vais te rabattre un peu le caquet !

« Ma bile s’échauffe à t’entendre parler de la sorte. Ton souffle est déjà une haute trahison, ton sourire est un crime de lèse-majesté. »

Quand je vis le vieillard s’échauffer ainsi et m’invectiver sans ménagement et sans retenue, alors j’éclatai à mon tour et je laissai parler mes plus intimes pensées :

« Seigneur Barberousse, lui dis-je à haute voix, tu n’es qu’un être fabuleux, un spectre du passé ; va-t’en, retourne dormir ; nous nous délivrerons bien sans toi.

« Les républicains nous riraient au nez en voyant à notre tête un pareil fantôme avec le sceptre et la couronne ; ils nous larderaient d’épigrammes.

« Ton drapeau ne me plaît pas non plus. Les fous teutomanes, quand j’étais encore dans la Burschenschaft, m’ont gâté à tout jamais le goût de ces couleurs rouge, noire et or.

« Ce que tu as de mieux à faire, vieille ganache impériale, c’est de rester chez toi dans ton vieux Kiffhauser. — Plus je réfléchis, plus je crois que le peuple allemand peut se passer d’empereur. »


17

Je me suis querellé avec l’empereur, en rêve, bien entendu. À l’état de veille nous ne parlons pas aux princes avec autant d’indépendance.

Ce n’est qu’en rêvant, ce n’est qu’en songe idéal que l’Allemand ose leur exprimer sa franche opinion allemande, qu’il porte si profondément dans son cœur allemand.

Quand je me réveillai, nous passions près d’une forêt ; la vue des arbres effeuillés, de cette réalité nue et triste, chassa tout à fait mes rêves.

Les chênes secouaient sévèrement la tête ; leurs branches,