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La fille de roi disait en soupirant : « Ô Falada ! dire que te voilà pendue ! » La tête de cheval répondait : « Ô malheur ! dire que tu mènes paître les oies ! »

La fille du roi disait en soupirant : « Ah ! si ma mère le savait ! » La tête de cheval répondait : « Son cœur se briserait de douleur. »

Pour mieux écouter, je suspendais mon haleine quand la vieille baissait la voix, et d’un ton plus grave commençait à parler de Barberousse, de notre mystérieux empereur.

Elle m’assurait qu’il n’était pas mort comme les savants le prétendent, qu’il restait caché dans une montagne avec ses compagnons d’armes.

La montagne s’appelle Kiffhauser, et dans ses flancs se trouve une caverne. Des lampes illuminent d’une clarté fantastique les salles aux voûtes profondes.

La première salle est une écurie, et là on peut apercevoir mille chevaux aux caparaçons étincelants devant leur crèche.

Ils sont sellés et bridés ; pourtant pas un seul ne hennit, pas un seul ne piétine. — Ils sont immobiles comme s’ils étaient coulés en fer.

Dans la seconde salle, on voit des soldats couchés sur la paille, mille soldats, gaillards à longue barbe, aux traits fiers et belliqueux.

Ils sont armés de pied en cap ; pourtant pas un de ces braves ne remue, pas un ne bouge, ils gisent immobiles et dorment.

Dans la troisième salle sont des piles d’épées, de haches, de piques, de casques d’argent et d’acier, de vieilles armes à feu.

Peu de canons, assez pourtant pour former un trophée. Au sommet flotte un drapeau aux couleurs noire, rouge et or.

L’empereur habite la quatrième salle. Depuis bien des siècles il est assis sur la chaise de pierre, devant sa table de pierre, la tête entre ses mains.