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Combien de fois n’ai-je pas regretté la douceur du duvet natal, quand je me couchais sur de durs matelas, dans les nuits sans sommeil de l’exil !

On dort très bien et on rêve encore mieux dans nos lits de plume. C’est là que l’âme allemande se sent libre de toute chaîne terrestre.

Elle se sent libre et plane dans les espaces les plus reculés du ciel. Âme allemande, esprit émancipé, que ton essor est audacieux dans tes rêves nocturnes !

Les dieux pâlissent à ton approche, et sur ton chemin que d’étoiles n’as-tu pas époussetées du souffle de tes ailes !

La terre est aux Français et aux Russes ; la mer obéit aux Anglais ; mais nous autres Allemands, nous régnons sans rivaux dans l’empire éthéré des rêves.

Là nous avons l’hégémonie ; là, nous ne sommes pas morcelés. Les autres peuples ont grandi sur le vil sol de la terre ; mais le peuple allemand s’est développé dans l’espace infini de l’idée !…

Et quand je fus endormi, je rêvai que j’errais encore au clair de lune le long des rues sombres de l’antique Cologne.

Et derrière moi, marchait toujours mon acolyte, l’homme à la hache, sombre et silencieux. J’étais si fatigué que mes genoux pliaient ; cependant nous avancions toujours.

Nous avancions toujours ; mon cœur se déchirait dans ma poitrine, et de la blessure ouverte jaillissaient des gouttes sanglantes.

Parfois j’y plongeais le doigt, et parfois il arriva qu’en passant je marquai de mon sang les portes des maisons.

Et chaque fois que je marquais ainsi avec ma main sanglante la porte d’une maison, un glas funèbre résonnait dans le lointain, mélancolique et gémissant.

La lune pâlit au ciel, elle devint de plus en plus blême. Semblables à de noirs coursiers, d’obscures nuées la poursuivaient dans l’espace.