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Cela me devenait insupportable ; je me retournai et je lui dis : Parle maintenant, pourquoi me suis-tu ainsi jusqu’au milieu de ce désert nocturne ?

Je te rencontre toujours à l’heure où les grandes idées grondent dans ma poitrine, et que les éclairs de la pensée jaillissent de mon esprit.

Tu me regardes si fixement ! — Parle, explique-toi ! Que caches-tu sous ton manteau ? Ça brille si terriblement ! Qui es-tu, et que veux-tu ?

Il répondit d’un ton sec et même un peu maussade : Je t’en prie, ne m’exorcise pas, et, pour l’amour de Dieu, ne deviens pas pathétique.

Je ne suis point un fantôme du passé, un spectre échappé de la tombe. Je n’aime pas la rhétorique, je ne suis pas non plus très dialecticien.

Je suis d’une nature pratique, toujours calme et taciturne. Sache-le donc : ce que ton esprit médite, c’est moi qui l’exécute.

Et les années ont beau s’écouler ; je n’ai point de cesse, jusqu’à ce que j’aie changé en réalités les billevesées de ta pensée. Toi, tu penses, et moi, j’agis.

Tu es le juge, je suis le bourreau, et avec l’obéissance d’un valet j’exécute le jugement que tu rends, — fût-il même injuste.

À Rome, dans les anciens jours, on portait une hache devant le consul. Toi aussi, tu as ton licteur, mais c’est derrière toi qu’il marche.

Je suis ton licteur et je te suis sans cesse avec la hache impitoyable ; je frappe, et ce que ton cerveau a enfanté, s’accomplit. Tu es la pensée ; moi, je suis le fait.


7

Je rentrai chez moi et dormis comme si les anges m’avaient bercé. On repose si moelleusement dans les lits d’Allemagne : car ce sont des lits de plume.