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LA PAIX


Le soleil était au plus haut du ciel, environné de nuages blancs, la mer était calme, et j’étais couché près du gouvernail, et je songeais et je rêvais ; — et, moitié éveillé, moitié sommeillant, je vis Christus, le sauveur du monde. Vêtu d’une robe blanche flottante, et grand comme un géant, il marchait sur la terre et sur la mer ; sa tête touchait au ciel, et de ses mains étendues il bénissait la mer et la terre, et, comme un cœur dans sa poitrine, il portait le soleil, le rouge et ardent soleil, — et ce cœur radieux et enflammé, foyer d’amour et de clarté, épandait ses gracieux rayons et sa lumière éternelle sur la terre et sur la mer.

Des sons de cloche, résonnant ça et là, attiraient comme des cygnes, et en se jouant, notre navire, qui glissa vers un rivage verdoyant ou des hommes habitent une cité magnifique.

Ô merveille de la paix ! comme la ville est tranquille ! Le sourd bourdonnement des vaines et babillardes affaires, le bruissement des métiers, tout se tait, et à travers les rues claires et resplendissantes se promènent des hommes vêtus de blanc et portant des palmes, et, lorsque deux personnes se rencontrent, elles se regardent d’un air d’intelligence, et, dans un tressaillement d’amour et de douce renonciation, elles s’embrassent au front et lèvent les yeux vers le cœur radieux du Sauveur, vers ce cœur qui est le soleil et qui verse allègrement la pourpre de son sang réconciliateur sur le monde, et elles disent trois fois dans un transport de béatitude : Béni soit Jésus-Christ !

Que ne donnerais-tu pas pour avoir eu un tel rêve, bien-aimé ? Toi si faible de tête et de corps, mais si fort par la foi, toi qui, dans ta simplicité, vénères la Trinité et la croix et la bannière, toi qui en te prosternant chaque jour aux pieds de ta haute bienfaitrice, es parvenu à la dignité de conseiller aulique, puis à celle de conseiller de justice et finalement à celle