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La mouette se cramponne au mât avec des gémissements rauques. L’angoisse fait battre ses ailes, on dirait qu’elle prophétise un malheur.


13

La tempête joue un air de danse ; elle siffle grince et mugit. Gai ! comme le bateau danse ! La nuit est joyeuse et terrible.

La mer en courroux est ainsi qu’une montagne d’eau vivante. Ici s’ouvre un obscur abîme, la s’érige une blanche tour.

De la cabine sortent des cris, des jurements et des prières ; je me tiens agrippé au mât, et pense : si j’étais donc à la maison !


14

La nuit approche ; le brouillard couvre la mer. Les flots font un bruit mystérieux. Quelque chose de blanc sort des eaux.

C’est la dame de la mer ; elle s’assied près de moi sur la grève. Ses seins blancs sortent de ses voiles.

Elle me presse entre ses bras, et même me fait presque mal. « Tu me presses beaucoup trop fort, ô belle fée des eaux ! »

— « Je te presse entre mes bras, te presse de toute ma force ; je veux me réchauffer contre toi ; le soir est si froid ! »

La lune se montre, toujours plus pâle, entre les nuages assombris. « Ton œil est plus trouble et plus liquide, ô belle fée des eaux ! »

— « Il n’est pas plus trouble et plus liquide ; il est liquide et trouble parce qu’en sortant de l’onde, une goutte m’est restée dedans ! »

Les mouettes gémissent, dolentes ; la mer déferle en mugissant. « Ton cœur bat de façon sauvage, ô belle fée des eaux ! »

— « Mon cœur bat de façon sauvage, il bat de sauvage façon, parce que je t’aime ineffablement, cher fils de la race des hommes ! »