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L’EXPÉRIENCE DU DOCTEUR HEIDEGGER

créatures grisonnantes, décrépites et desséchées, dont la mort disputait les restes à la vie, qui tout à l’heure n’avaient pas assez d’énergie pour se ranimer à l’espoir d’une existence nouvelle, venaient de reconquérir d’un seul coup la force et la vigueur. Les riches couleurs de la santé avaient remplacé la teinte cadavérique de leur visage. Ils se contemplaient les uns les autres, et lisaient mutuellement dans leurs regards que l’influence magique de l’eau de Jouvence avait effacé de leurs traits les stigmates imprimés par le temps. La veuve Wycherly rajusta instinctivement sa coiffe, en se sentant redevenir femme. Tous, par un mouvement spontané, tendirent leurs verres en s’écriant :

— Encore, cher docteur, sublime docteur, incomparable docteur, encore ! encore ! nous ne sommes plus des vieillards, mais nous sommes loin d’être des jeunes gens.

V

Cependant le docteur, immobile, contemplait avec une froide impassibilité les résultats de son expérience, et suivait la marche du phénomène qui s’accomplissait sous ses yeux. La transformation morale avait suivi la transformation physique. Le geste, la voix, le regard de ses convives l’attestaient, et tous s’étaient levés le verre à la main, comme pour témoigner qu’ils n’étaient pas dupes d’une illusion passagère.

— Patience, dit-il, sans sortir de son flegme philosophique ; vous avez mis assez de temps à vieillir ; ne forçons pas les lois de la nature ; laissez à votre sang le temps de