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blia positivement les premiers principes de la charité chrétienne lorsqu’elle put soupçonner une de ses clientes de n’être venue dans le magasin, sous prétexte d’achat, que pour satisfaire une curiosité perverse. Cette créature vulgaire voulait voir, par elle-même, quelle figure pouvait faire derrière un comptoir une fleur d’aristocratie toute fanée, effeuillée et sans parfum. Pour le coup, inoffensif et machinal comme il l’était en d’autres circonstances, le froncement de sourcils d’Hepzibah fit loyalement son office.

« Jamais de ma vie je n’ai eu si peur ! s’écriait l’indiscrète en racontant l’aventure à une de ses connaissances… Vous pouvez vous en rapporter à moi, c’est une véritable sorcière… Elle ne dit guère mot, j’en conviens ; mais si vous voyiez quels yeux elle vous fait ! »

En somme la vieille demoiselle, après l’expérience qu’elle en faisait alors pour la première fois, ne fut amenée à juger très-favorablement ni le caractère, ni les façons de ce qu’elle nommait « les classes inférieures, classes sur lesquelles, du haut de sa grandeur fictive, elle avait jusqu’alors laissé tomber une douce indulgence, mêlée de quelque pitié. En revanche, il lui fallut combattre une amertume toute contraire, — une sorte de rancune virulente — contre cette oisive gentilily à laquelle jusqu’alors elle s’était fait gloire d’appartenir. Lorsque venait à passer dans cette rue écartée et solitaire, laissant derrière elle les parfums d’un bouquet de roses-thé, une belle dame dont la robe de mousseline et le voile flottant faisaient une espèce d’être aérien, et dont on était tenté de regarder les pieds chaussés de soie, pour savoir si elle foulait la