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— car, dans ce tumulte affairé, les connaissances se font et vieillissent vite — les quittaient aussi incessamment. Çà et là, malgré le bruit, quelques voyageurs s’assoupissaient. Le sommeil, — les jeux, — les affaires, — les études plus ou moins sérieuses, — et l’inévitable progrès fait ensemble sur la même route, — n’était-ce pas la Vie elle-même !

Toutes les sympathies de Clifford, naturellement actives, étaient en éveil. Comme le caméléon, il recevait, il rendait en vifs reflets toutes les couleurs de ce kaléidoscope mouvant ; mais elles se mêlaient chez lui à je ne sais quelle nuance sinistre qui ne présageait rien de favorable. Hepzibah, d’un autre côté, se sentait plus à l’écart de l’Humanité qu’elle ne l’était naguère, même dans la solitude d’où elle venait de sortir.

« Vous n’êtes pas heureuse, Hepzibah ! lui dit Clifford, par manière d’aparté, avec un accent de reproche… Vous pensez à cette vieille maison si triste, et vous pensez au cousin Jaffrey (ici son tremblement le reprit) ; vous pensez au cousin Jaffrey assis là-bas, tête à tête avec lui-même. Croyez-m’en donc… ou plutôt suivez mon exemple… Oubliez ces vains détails !… Nous voici dans le monde, Hepzibah !… Nous voici en pleine vie… mêlés à la foule de nos semblables !… Vous et moi, tâchons d’être heureux… aussi heureux que ce jeune homme et ces charmantes jeunes filles, avec leurs parties de balle ! — Heureuse !… pensait Hepzibah, chez qui ce mot venait d’éveiller le ressentiment amer de son angoisse de cœur, lourde et glaciale… Heureuse, a-t-il dit ?… Il faut qu’il soit déjà fou ; et je deviendrais folle, moi aussi, pour peu que je pusse me croire tout à fait éveillée ! »