Page:Hawthorne, La maison aux sept pignons, Hachette, 1886.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quait pas, ou on ne remarquait que pour les oublier aussitôt, ces deux ombres fondues sur un ciel nébuleux.

Si du moins Hepzibah s’en était doutée, elle eût puisé là quelque consolation, car à tous ses autres ennuis, — phénomène étrange, — venait s’ajouter le souci tout féminin d’une toilette qui lui semblait peu convenable ; aussi se repliait-elle en elle-même plus profondément que jamais, comme si elle eût espéré faire croire aux gens que sa vieille pelisse, fanée et fripée, s’en allait toute seule prendre l’air et recevoir la pluie, sans que personne fût dessous !

À mesure qu’ils avançaient, elle perdait si bien le sentiment de la réalité, elle entrait si bien dans le vague domaine du néant, que c’est tout au plus si l’une de ses mains sentait le contact de l’autre. Une certitude quelconque valait mieux qu’un pareil état ; aussi se répétait-elle sans cesse : « Suis-je éveillée ?… suis-je bien éveillée ? » Et parfois, écartant son capuchon, elle exposait son visage au souffle glacé du vent pour s’assurer, même au prix d’une souffrance, si elle dormait ou non. Soit que la volonté de Clifford, soit qu’un simple hasard les y eût conduits, ils se trouvaient maintenant sous la porte voûtée d’un vaste édifice de pierre grise. À l’intérieur, une large nef, au toit élevé, que la vapeur et la fumée emplissaient de leurs volumineuses spirales, formant, au-dessus de leurs têtes, comme une fausse région de nuages. Un train de wagons allait partir ; la locomotive frémissait et fumait comme un coursier impatient de dévorer l’espace ; la cloche tintait un appel précipité, semblable à ceux que la vie nous garde pour chacune de ses péripéties. Sans délai ni hésitation, — avec cet aveugle