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même temps la donner et la garder… N’importe, c’est de bon cœur et sans arrière-pensée que je leur en ai fait le sacrifice.

— Vous n’avez rien perdu, Phœbé, qui méritât d’être conservé, ou qui pût l’être, dit Holgrave après un silence. Notre première jeunesse n’a aucun prix, car nous n’apprécions sa valeur que lorsqu’elle n’est plus. Mais quelquefois — et toujours, à ce que je pense, sauf l’obstacle dérivant d’une infortune exceptionnelle, — les grandes fêtes de la Vie, amour ou toute autre, nous rendent le sentiment d’une seconde jeunesse ; et le regret de la première nous prépare à cette nouvelle conquête, nous en fait mieux sentir le prix, de même que nous évaluons mieux, en la comparant à l’immense joie qu’elle nous procure, l’insignifiance de ce que nous avions perdu, de ce que vous regrettez aujourd’hui. Tout cela est essentiel au développement de l’âme.

— Je ne suis pas bien sûre de vous comprendre, dit Phœbé.

— Rien d’étonnant à cela, répondit Holgrave en souriant, car je viens de vous révéler un secret dont je me doutais à peine quand j’ai ouvert la bouche pour vous en faire part. Et néanmoins, gardez-en le souvenir ; puis, si la vérité se fait jour dans votre esprit, pensez alors, pensez à ce tableau éclairé par la lune.

— En effet, remarqua Phœbé, le clair de lune est à présent partout, si ce n’est là-bas, entre ces maisons où l’on voit, au couchant, une légère teinte de rose qui s’efface de minute en minute… Il faut que je rentre… La cousine Hepzibah n’est pas forte sur l’arithmétique, et les comptes du jour, si je n’y mets ordre, lui donneront la migraine. »